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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny
Autoren: Monique Demagny
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Marigny tentait de s’occuper, il meublait le temps en faisant voyager des tableaux, ses statues, ses meubles parfois, de Ménars au Roule, du Roule à Ménars, de Ménars à la rue du Louvre, et recommençait. C’était peu et c’était tout à fait vain. Alors parfois il faisait une pause, il rêvait. Les grands projets appartenaient au passé, le Paris de l’avenir n’était plus entre ses mains. Paris lui échappait, alors il laissait l’Italie envahir ses pensées. Vieillissait-il déjà ?
    Pour la première fois de sa vie la nostalgie du temps passé l’habitait. Quand il se surprenait à ce mode de pensée il se mettait à arpenter la pièce où il se trouvait, mécontent de lui-même. Puis retournant à ses pensées il s’agaçait sur un souvenir dont le détail lui échappait.« Il faudra que j’en parle à Cochin. » C’était la première idée qui lui venait. Cochin ? L’Italie encore ! Quelle sottise ! Il aurait voulu rêver d’avenir et il ressassait le passé ! Était-ce un si beau temps ? Allons ! Il n’était même pas encore Directeur des Bâtiments du Roi… Oui, mais il en rêvait, il s’y préparait dans l’ardeur et l’exaltation. Le bonheur était alors devant lui.

    Cochin, Soufflot regrettaient eux aussi le temps de Marigny aux Bâtiments, eux aussi avaient leurs nostalgies, mais ils étaient encore pris dans un quotidien affairé et l’urgence balayait les regrets. Ils se retrouvaient parfois et marchaient ensemble dans la ville, commentant les travaux, ceux qui avaient finalement été réalisés, ceux qui tant bien que mal étaient en cours, ceux dont ils avaient seulement rêvé dans les pas de Marigny. Un jour qu’ils flânaient ensemble ils se trouvèrent immobilisés dans un embarras de rues, à regarder machinalement les voitures et les carrosses.
    — Tiens, dit Cochin, le carrosse du cardinal de Rohan.
    — Voyez ce jeune abbé qui l’accompagne. Son visage me rappelle quelqu’un… Il ressemble à…
    — Non, Soufflot, il ne lui ressemble pas. C’est elle !
    — Oh !
    Soufflot venait de comprendre et il était stupéfait et choqué.
    — La marquise ? Comment est-ce possible ?
    — La marquise de Marigny, en effet. Elle court les rues de Paris déguisée en abbé dans le carrosse de son amant.
    — C’est incroyable !
    — C’est aussi ce qu’a dit le roi quand il les a rencontrés.
    — Le roi est au courant…
    — Il n’a pas aimé du tout ! On dit qu’il a fort tancé le cardinal et l’a rappelé au vœu de chasteté que son état implique. Mais c’est une chanson que Rohan écoute patiemment sans en faire cas.
    — Marigny sait-il ?
    — Tout le monde sait ! Sauf vous ! Mais vous vivez en dévotion à Sainte-Geneviève, vous êtes au-dessus de ces contingences ! Tout Paris salue le couple au passage. « Voilà le grand aumônier et sa petite aumônière. »
    — Marigny…
    — Pour le moment il a choisi de ne pas savoir officiellement. Quand il le décidera, quand il se sentira prêt, il prendra les décisions. Vous le connaissez, il n’est pas homme à supporter qu’on le dise complaisant ou berné.

    Le 23 septembre 1777, le marquis et la marquise de Marigny signèrent chez leur notaire des conventions réglant leurs intérêts dans une vie désormais séparée. Le pas était franchi.

Marigny avait cru que la séparation serait un déchirement mais au fil des jours il en avait surtout éprouvé un certain détachement. Julie désormais était ailleurs, c’était une réalité nouvelle dont il apprenait à s’accommoder. Peut-être avait-il trop anticipé la douleur ? L’idée même du départ de son épouse vers d’autres lieux, d’autres amours, lui avait longtemps été intolérable. Il en avait différé l’échéance autant qu’il était possible, mais la refusant il l’avait apprise, apprivoisée, il s’en était imprégné. La trahison de Julie était devenue habitude. La souffrance était derrière lui. S’il avait perdu encore quelque chose à son départ, ce n’était plus que l’inconfort de l’attente, l’essoufflement d’une illusion reniée, le plaisir morbide de ressasser sa disgrâce. Julie avait déserté la demeure, il en attendait un vide insupportable et c’était les marques si tenues fussent-elles qu’elle y avait laissées qui l’importunaient. Julie habitait maintenant un autre lieu, vivait une autre histoire, leurs univers ne coïncidaient plus, mais son souvenir
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