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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny
Autoren: Monique Demagny
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si proche et tant inaccessible. Il avait imaginé qu’elle serait une femme avec qui partager la vie, elle n’avait été qu’une femme à qui prêter un nom. Marigny, Ménars…
    Il s’apercevait avec une candeur déroutante qu’il n’y avait pas là de grande douleur. Julie n’était pas de celles qui inspiraient une passion. Son souvenir pourtant le dérangeait. L’échec de son mariage restait cuisant, il pouvait pourtant s’en accommoder. La perte de sa charge était une souffrance d’un tout autre poids.

À grand renfort de déménageurs, Marigny s’installa place des Victoires. Il avait une maison de plus à son actif, il commençait à en avoir beaucoup. Trop ! Il décida de louer la maison du Roule, la louer seulement, il ne voulait pas s’en séparer. Elle était meublée ? Le locataire devrait lui acheter les meubles. Ils valaient… un certain prix. Le loyer lui-même représentait une somme coquette. La maison du Roule ne trouva pas preneur. Tant pis ! Marigny allait s’occuper à autre chose. Le 8 mars 1779, il acheta une autre maison, à Bercy. Ce n’était qu’une maison de plus mais elle lui donnerait prétexte à recommencer la ronde des meubles, des tableaux, des statues, de Ménars au Roule, du Roule à Bercy, et bien sûr dans l’autre sens aussi bien. Tout finirait par être à sa place et Marigny s’y sentirait mieux. Il expliqua tout cela à Soufflot, qui hocha la tête, qui souhaitait surtout que Marigny ne lui demandât ni son avis ni son aide dans ce tourbillon de logis. Soufflot avait perdu l’étincelle qui le faisait mener à tout va une course aussi effrénée que celle de son ami. Marigny enfin fit une pause dans son discours et pensa alors à s’enquérir de ce qu’il en était pour Soufflot.
    — Et Sainte-Geneviève ? attaqua-t-il d’un ton gaillard.
    — Je rencontre des difficultés, monsieur.
    — Patte ?
    Soufflot acquiesça d’un hochement de tête.
    — Il ne lâchera donc jamais !
    — Des fissures sont apparues dans les piles.
    — C’est grave ?
    — Non. Une expertise a tranché. Elles ne sont que l’effet du tassement et ne viennent que de trop de précision dans l’exécution. Les joints sont trop bien finis. Cela ne peut altérer en rien la solidité.
    — Qui a fait l’expertise ?
    — Pierre Desmaisons de l’Académie d’architecture.
    — Alors vous pouvez être tranquille. Ce Patte n’est qu’un jaloux, un triste sire.
    — Les bruits infondés peuvent être plus puissants qu’une expertise.

    Soufflot était fatigué. Tout le montrait. Sa voix un peu cassée, son regard sans joie, son corps amaigri qui s’affaissait un peu. Soufflot ne se ressemblait plus. Marigny s’inquiéta.
    — Quand Patte s’est-il réveillé ?
    — Il y a quelques mois.
    — Vous auriez dû m’en parler.
    Pourquoi l’aurait-il fait ? Marigny touchait du doigt son impuissance, quand bien même il l’aurait su, il ne pouvait plus rien pour aider Soufflot. Devant lui Soufflot qui jadis ne courbait jamais le dos s’était tassé dans la bergère qu’il occupait. Un fauteuil bien trop grand pour lui. Il n’avait jamais été gros, il était aujourd’hui presque décharné. Le feu même de son regard avait fuimais les traits du visage restaient fermes et sa mâchoire était crispée dans une sombre détermination. Tout Soufflot était là. L’architecte absolument sûr de la justesse de ses calculs et de l’infaillibilité de sa technique, et l’homme éternellement inquiet du jugement des autres. Le vulgaire se trompait dans ses critiques, il le savait, Marigny lui aussi en était certain, les expertises le prouvaient. Cela ne changeait rien à l’affaire, les sots ne désarmeraient jamais.
    Soufflot planait trop haut, loin au-dessus de tous les « Patte » du monde, englués au sol par l’étroitesse de leur jugement et le poids de leur jalousie. Soufflot le savait, mais chaque fois que les critiques tentaient de le tirer vers le bas il en restait éberlué et blessé. Marigny se sentait tragiquement impuissant, il connaissait bien Soufflot, aucun raisonnement ne pouvait le réconforter. L’architecte qui l’avait toujours ébloui était le même que celui du voyage d’Italie, aussi brillant au cœur de ses rêves que mal adapté au monde.

L’installation à l’hôtel de la place des Victoires calma un moment la fièvre de Marigny. Voilà un logis qui lui convenait. Il ne délaisserait pas Ménars, il irait bientôt
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