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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny
Autoren: Monique Demagny
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pouvoir vivre, ou survivre au moins un temps, doucement. Doucement ? C’était la dernière illusion, le mode tranquille lui était étranger.
    — Reposez-vous, mon oncle, protestait souvent Jeanne-Charlotte.
    Marigny haussait les épaules. La vie n’était pas faite pour dormir. Il allait… Bien sûr il avait pour chaque jour un projet, une obligation qu’il inventait, il faudrait pour cela s’arranger de la goutte. Il essayait, et la nièce, attentive, se mua en garde-malade. On viendrait bien à bout du mal avec un régime draconien et quelques remèdes appropriés. La douleur persista, Abel restait maintenant presque tout le jour allongé. On força la médication. Eau de mélisse, eau de fleurs d’oranger, décoction d’écorce de citron étaient supposées améliorer son état. Si peu. On appela en renfort les sinapismes de moutarde, d’ail, de vinaigre rouge appliqués sur les pieds. Ce fut peine perdue. Souvent la fièvre le gagnait. Le chirurgien Dangeville appela à son aide trois médecins : Bouvard, Bory, Malouet. Ils furent impuissants à soulager le mal.

    Il y avait parfois un répit. Une semaine ? C’est trop ! Quelques jours, un seul jour ou quelques heures et Marigny faisait atteler, ou le plus souvent se contentait de mettre son courrier à jour. Il voulait savoir comment les choses allaient à Ménars, il n’irait que pour l’été. Il irait si… si la douleur enfin se calmait, s’il pouvait s’éloigner de son médecin, de son chirurgien. Il pourrait. Il n’allait quand même pas être tributaire d’une douleur ! La souffrance pourtant ne lâchait pas. Comme Marigny elle était têtue. Le temps lui durait. Heureusement, il y avait Cochin qui venait s’asseoir près de son fauteuil, lui rapportait les potins. Le monde desartistes s’agitait toujours et même si Cochin n’en avait plus la charge il s’inquiétait encore de « ses » peintres, de « ses » sculpteurs. Il arrivait parfois que Marigny écoutât sans vraiment réagir. Cochin s’alarmait alors, l’indifférence ne ressemblait pas à Marigny. La goutte peut-être s’était réveillée plus cruellement. Comment savoir avec un homme qui ne se plaignait jamais ? À moins qu’il ne s’agît de la vieille douleur de n’avoir plus « ses Bâtiments » ? Alors le cœur de Cochin se serrait, Marigny n’était plus là, il n’était jadis que mouvement et paroles. Marigny, ses projets, ses idées. Combien d’idées à la minute ? Cochin l’entendait encore. Les mots tournaient dans sa mémoire, s’y bousculaient. C’était hier, ou tout à l’heure, Marigny s’impatientait, grondait, charmait.
    — Cochin, il faudra…
    — Oui, non, bien sûr… Et si vous…
    — J’ai dit à Soufflot qu’il oublie un instant Sainte-Geneviève… J’ai besoin de lui dans ma maison du Roule…
    — Cochin, le croirez-vous…
    — Avez-vous vu ces temps-ci ce « foutu abbé », comme disait mon père ?
    Il était étourdissant et on l’aimait pressant, et pressé ! Le temps avait donc si vite passé ? La nièce Jeanne-Charlotte s’était confiée à Cochin, les médecins étaient alarmistes, son oncle ne vivrait plus longtemps. Cochin de tout son cœur refusait la sentence. Cet homme-là, si remuant qu’il vous en donnait le tournis, cet homme-là manquerait trop à la vie. Parfois une lueur inquiète dans le bleu fatigué du regard qui avait étéaussi séduisant qu’il était impérieux, alertait Cochin. Marigny se taisait, alors Cochin parlait pour deux, et si les temps présents ne touchaient plus Marigny, Cochin plongeait dans le passé !
    — Vous souvenez-vous, monsieur, quand nous étions en Italie…
    Il égrenait avec un sourire les incidents et les frasques des jeunes gens heureux qu’ils étaient. Marigny s’y laissait entraîner.
    — L’abbé avait fait retraite…
    Marigny esquissait un sourire. L’Italie… Cochin parlait et le berçait des fantômes de leur jeunesse.
    Marigny ne souffrait plus, il s’évadait doucement dans les réminiscences, Cochin venait de colorer sa journée de leurs plus beaux souvenirs.

Le jeudi 31 août 1780, Marigny quitta le fauteuil où il était maintenant le plus souvent cloué. Malgré la fatigue qui ne le quittait plus il accompagna Cochin en l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois pour le service funèbre de Soufflot, et ce fut un dernier déchirement, l’un des plus durs.
    Soufflot était mort. Comment Soufflot pouvait-il mourir ? Le
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