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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny
Autoren: Monique Demagny
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quand il se sentirait moins fatigué, et un jour il s’y retirerait et n’accorderait plus que de brefs séjours à Paris. Dans l’immédiat sa nouvelle maison le comblait. Il y avait fait transporter la statue de Diane qui était à Ménars dans son jardin et il avait fait placer son propre portrait peint par Roslin dans la salle à manger du premier étage. Celui de Jeanne, peint par Nattier, ornait la salle à manger du rez-de-chaussée, et son petit portrait peint aussi par Roslin était dans le cabinet ottoman. D’autres œuvres qui lui étaient familières et qu’il affectionnait avaient trouvé leur place dans son nouvel hôtel. Oui, c’était parfait… comme Ménars, comme la maison du Roule, comme le serait aussi le pavillon de Bercy.

    Mais qui partagerait avec lui cette perfection de lieux ? Abel n’avait pas d’enfant, sa femme l’avait quitté. À qui reviendraient ses maisons et tous les trésors qu’il y avait entassés ? Il n’y avait pas un meuble, un tableau, un vase, qui n’évoquât pour lui un souvenir. Qui prendrait le relais de la mémoire ? Il avait cinquante-deux ans et souffrait de la goutte et ce n’était qu’une misèrede plus qui constamment lui rappelait par des élancements douloureux que la vie avait passé et que le temps s’épuisait. Il lui fallait une famille et sans attendre, le temps pressait. Il chercherait, il trouverait. Il était né Poisson. Il lui fallait un parent du sang dont il était fait.

L’affaire fut rondement menée. Très vite tout fut conclu. Marigny avait trouvé sa nièce. Marigny ? Vous voulez dire Ménars ? Non. Abel Poisson avait trouvé sa nièce, une petite nièce « à la mode de Bretagne ». Il n’allait pas faire le difficile, il n’en avait plus le temps. Les jours passaient, les semaines et les mois s’enchaînaient, la goutte était là, elle campait en terrain investi et chaque élancement de la douleur rappelait l’urgence qui le talonnait. Quand il y avait une rémission ce n’était qu’un bien-être provisoire, il l’avait admis. La douleur, la fièvre, la fatigue, insistaient de manière sournoise sur le besoin pressant de désigner un héritier. Cette nièce-là en valait bien une autre.
    Elle s’appelait Poisson, c’était là une excellente qualité, Jeanne-Charlotte Poisson de Malvoisin. Elle était la propre fille du cousin Malvoisin qui n’avait jamais brillé par son honnêteté. Quelle importance ? Jeanne-Charlotte était âgée de bientôt quarante ans et depuis l’an passé elle était l’épouse du comte Barin de la Galissonnière. Au début de l’année 1780 Marigny l’adopta comme sa fille et l’annonça à qui voulait l’entendre. Tout Paris l’apprit bientôt, sans vraiment s’en soucier et Abel l’aurait fait savoir de bon cœur dans le royaume tout entier. Le problème était donc réglé, Marigny avaitson héritière, il pouvait mourir, ses affaires étaient en ordre. Un manque essentiel était comblé.
    La solitude d’Abel n’en restait pas moins poignante. Épuisé par la maladie il aspirait à retrouver la chaleur d’une famille comme au vieux temps de la rue Neuve-des-Bons-Enfants. Était-ce encore possible ? À tout le moins il voulait en nourrir l’illusion. L’isolement et la quasi-claustration induite par la maladie lui étaient odieux, le vide de sa vie l’effrayait.
    Il y avait eu un temps où une foule de quémandeurs le cernaient à longueur de jour pour un logement, une faveur à tel point qu’il en étouffait. Ils s’agglutinaient maintenant ailleurs. Il avait voulu croire qu’en être délivré serait un bienfait du ciel, curieusement leurs sollicitations, leurs récriminations, leurs flatteries consternantes, lui manquaient. Depuis qu’il n’était plus le maître de la manne, la cacophonie des plaintes et des protestations de fidélité, l’insupportable remue-ménage de ceux qu’il tenait dans sa main, avaient cédé le pas à un silence insoutenable. Le désert de sa vie lui donnait le vertige. Il était indispensable de combler ce manque. Il pria alors le ménage La Galissonnière de venir résider avec lui dans sa demeure. Il y avait des exils plus pénibles et la nièce de fortune qu’Abel s’était dénichée était sans doute à la fois compatissante et reconnaissante. La nièce et son époux s’installèrent place des Victoires. Abel avait une famille et c’était la première fois depuis longtemps. Il en soupira d’aise. Il allait
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