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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny
Autoren: Monique Demagny
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étaient deux étrangers qui vivaient dans la même maison et pas toujours aux mêmes heures. Ils pouvaient s’y croiser et c’était souvent par hasard. Le chapitre de l’intimité était donc vide. Madame se levait tard, très tard, quand la journée était déjà bien entamée, elle se consacrait alors à sa parure, c’était une affaire qui demandait du temps, puis elle sortait, sans solliciter la compagnie de son époux. Le mariage lui avait donné un état et donc la respectabilité, c’était précisément pour une jeune femme desa condition la seule possibilité d’être libre et de n’en faire qu’à sa tête. Elle n’avait pas la sottise de s’en priver. Elle s’était assez ennuyée les premiers temps de son mariage ! Elle accompagnait très rarement son époux à Ménars. Paris avait bien d’autres charmes. Marigny s’en accommodait, il avait fait le deuil de l’idée même d’une famille. Il vivait en retrait, il avait pris du recul avec toutes choses et n’était pas éloigné de croire que rien ne pouvait plus le toucher. Il essayait au moins de s’en persuader.
    Cochin le tira pourtant un matin de sa léthargie.
    — Le roi est mort !
    — Le roi est mort ?
    La voix de Marigny se voila, les larmes affleurèrent. Comment se pouvait-il ? Ce roi, il l’aimait ! Un pilier fondamental de ce qui avait été sa vie s’écroulait, un repère de plus lui échappait. Les choses, les gens, les bonheurs, disparaissaient, s’évanouissaient, s’effaçaient. Que restait-il dans ce monde ? Il regarda Cochin. Oui, il restait Cochin, et Soufflot.
    Cochin meubla le silence pour permettre à Marigny de se ressaisir, il relata les derniers moments du roi, l’émotion de la cour, le chagrin et la gravité du nouveau souverain propulsé brutalement sur le devant de la scène.
    — Il m’a comblé de bienfaits, dit enfin Marigny, je le pleurerai longtemps.

    L’avènement du nouveau souverain eut au moins un point positif, il précipita la chute du détestable Terray, et ce ne furent pas les Du Barry qui en profitèrent. Lejeune roi dont la moralité était irréprochable et pointilleuse avait haï la dernière favorite, il mit le comte d’Angiviller à la tête des Bâtiments. Intelligent, cultivé, acquis à la nouvelle forme de l’art, d’Angiviller allait vraiment reprendre le flambeau de Marigny. Ce fut encore Cochin, qui en apporta la nouvelle.
    — Le comte d’Angiviller vous succède, monsieur.
    Marigny sourit.
    — Vous oubliez un maillon, Cochin !
    — Tout le monde a oublié Terray. C’est bien tout ce qu’il méritait !
    — D’Angiviller est intelligent, cultivé, acquis à l’évolution moderne des arts, il fera du bon travail.
    — On sait qu’il vous a rendu hommage auprès du roi. Il a loué votre esprit, votre intégrité, votre force.
    — Comment savez-vous cela, Cochin ?
    — À Versailles, monsieur, tout se sait !
    Nouveau sourire de Marigny qui se retrouvait en terrain connu. Cochin poursuivit.
    — Le nouveau Directeur a encore exposé au roi que vous aviez été empêché de conduire la réforme des arts en ce royaume par l’entêtement de monsieur Gabriel que le feu roi avait la faiblesse d’écouter par habitude.
    — Oh !…
    — Il a également fait état que dans les dernières années de votre ministère on s’était ingénié à vous donner des dégoûts plutôt que de vous aider à soutenir l’administration dont vous aviez la charge.
    Du baume enfin sur les plaies de Marigny !

    Quelques mois plus tard une nouvelle encore ne lui déplut pas. Gabriel venait de se démettre de sa chargede Premier Architecte du Roi. D’Angeviller mettait résolument ses pas dans ceux de Marigny, et s’en glorifiait. Le temps des vieilles gloires était passé, Gabriel cédait la place. Au bout du compte, et en quelque sorte par procuration Marigny gagnait le bras de fer engagé plus de deux décennies plus tôt avec le vieil architecte certes talentueux mais bouffi des honneurs dont il avait été nourri.
    — Dans quel monde vivons-nous ? dit plaisamment Marigny à Cochin. On ne peut même plus se fier à ses ennemis, ils s’en vont ! D’Angeviller risque de s’ennuyer, les architectes vont rentrer dans le rang.

    Cochin, Soufflot étaient restés fidèles. Ils rencontraient souvent Marigny, ils étaient le dernier lien avec ce qui avait été sa vie. Réduit à l’inaction, écarté des combats qu’il avait aimé mener fougueusement,
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