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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions
Autoren: Mireille Calmel
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les poings sur les hanches, l’air faussement marri.
    — Alors quoi, prince de Blaye, restriction et tempérance seront-elles vos premiers commandements en ces lieux ? Iriez-vous, en suivant, jusqu’à nous priver de vin de peur qu’il ne nous enflamme le verbe ?
    Les rires redoublèrent et nous nous sentîmes bien seuls, Eloïn, Jaufré et moi, dans cet étau qui nous broyait le cœur. Geoffroy, quant à lui, refusant d’alerter davantage, de crainte d’un effet de panique, pour l’heure injustifié, jugea plus utile de servir sa cause dans ce joyeux répons. Il tendit la main à son compère, l’invitant à le rejoindre sur son perchoir. Richard y monta sous les acclamations, salua, les bras ouverts, son auditoire, tandis que Geoffroy chantait :
    — Lorsque duc d’Aquitaine vous serez,
    Prince de Blaye vous châtierez.
    Pour l’heure, vassal je ne suis,
    Mon bon ami,
    Que de dame Aliénor
    Et de fin amor.
    Mon épousée je veux ravir,
    Votre amitié j’entends servir
    Par l’une et l’autre préserver
    Ecrin de pierre ou d’étoilée.
    Est-ce pâtir de renommée ?
     
    Richard éclata de ce rire aussi tonitruant que celui de son père, secoua la cascade de ses boucles rousses puis répliqua, pour le plaisir de l’assistance :
     
    — Ce que j’en dis, sire Geoffroy
    N’est que souhait de fils de roi.
    Là, sur ce coffre d’espérance,
    Je vous rappelle à l’insouciance.
    Malgré les fers de ces doux yeux…
     
    Il battit des cils vers Agnès, rieuse, puis ajouta en sautant à bas :
    — Gardez, en vous, le plus grand feu…
     
    — Au feu ! Au feu !
    L’espace d’une minute, les invités, rendus hilares par l’apparition de circonstance d’un valet dans l’encadrement de la porte, crurent à la farce. Et, de fait, si nous n’avions lu l’horreur dans les yeux d’Eloïn quelques minutes plus tôt, sans doute aurions-nous pensé de même. Au lieu de quoi, tuant les rires des plus proches, nous nous précipitâmes tous trois d’un même élan au-devant de l’homme effrayé. Tandis que notre fils, blême, se frayait déjà un passage jusqu’à lui, suivi par Richard, alarmé, il haussa le ton pour se faire entendre de Jaufré :
    — Le feu, mon seigneur. Il vient de prendre d’une échoppe et court dans le vent.
    — D’où le vent ?
    — Nord-est, mon seigneur. C’est toute la ville qui va flamber !
     
    Oui.
    C’était toute la ville qui flamberait.
     
    Je n’oublierai jamais la vitesse démentielle avec laquelle, profitant d’un vent d’orage, les toits de la cité extra-muros devinrent des torchères, repoussant les gens par dizaines dans le limon du fleuve à marée basse, dès lors qu’il fut entendu que les chaînes humaines, instaurées dès l’ébauche de l’incendie, du Saugeron vers l’échoppe incriminée, ne suffiraient point. Les premiers porteurs d’eau se virent happés par un retour de flamme, amenant la panique chez les autres. Comme eux, depuis la fenêtre est d’une des tours du castel, et tandis que mes hommes, Agnès et Eloïn, ravagée, évacuaient nos invités par le souterrain qui menait au pied de la falaise puis, de là, à des gabares, j’espérais la pluie. Et plus encore un signe de Merlin. Mais, malgré les invocations de ma fille, les miennes, aucune magie ne sauva Blaye. J’étais anéantie. Comme ma ville. Comme mes gens, pour lesquels je ne pouvais rien, sinon de mon refuge les voir courir, se piétiner les uns les autres, tousser, cracher, hurler de terreur, chassés autant par la fumée, épaisse et irritante, que par la chaleur du brasier. Je m’en époumonais, en rougissais de même, refusant pourtant de quitter la place, de détacher mon regard de cette détresse, de cette fournaise. Comme si le hurlement des enfants, les appels des mères, le courage des pères, l’embrasement des impotents ou des plus faibles devaient s’inscrire en moi pour me faire corps et sang avec cette terre que j’avais délaissée trop souvent. Les cloches des abbayes avaient cessé de carillonner depuis que les flammes les avaient prises d’assaut. En hâte, Pierre, l’abbé de Saint-Romain, comme son homologue Guillaume, abbé de Saint-Sauveur, avaient dépêché les membres de leur chapitre à l’évacuation des habitants vers le fleuve. Nos gens d’armes s’étaient empressés de même. Combien en sauverions-nous vraiment de Blaye, des villages voisins ? Ils s’étaient tant agglutinés, tous, à ces épousailles.
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