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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions
Autoren: Mireille Calmel
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vous, Geoffroy Rudel, prince de Blaye, pour époux, devant témoins et jusqu’à ce que la mort nous sépare, parvint enfin à articuler Agnès tandis que mon mari, mon amant, mon troubadour me serrait si fort la main dans la sienne que, en cet instant où les lèvres des deux épousés se joignirent, lui et moi, une fois encore, ne faisions plus qu’un.

57
     
     
    D es minutes qui suivirent, je ne retins que les congratulations, les mouchoirs sous le nez ou les yeux des dames, les accolades des chevaliers, celle d’Aliénor, les rires, la ballade légère des instruments appelant à la danse. Le timbre de Jaufré à mon oreille.
    — Je t’aime, ma fée…
    Il fallut qu’Eloïn, se frayant un passage au milieu des invités, nous rejoigne et plante devant nous son visage grave pour que je reprenne conscience que le bonheur était aussi fragile qu’une rose. Elle n’eut rien à dire. Nous la suivîmes, entre la joie persistante et l’inquiétude. Car, pour la connaître et avoir vu son allégresse quelques minutes auparavant, nous ne pouvions douter qu’une sombre prémonition venait de nouveau d’endeuiller cette journée.
     
    Le château étant envahi de gens qui entraient dans une pièce, sortaient d’une autre, nous retenaient avant de se guider au son des luths ou des violes et de s’échapper, il nous fallut dix bonnes minutes et la porte d’un modeste cellier refermée sur nous trois avant de parvenir à nous isoler.
    — Parle, l’invitai-je aussitôt en lui prenant les mains dans la faible lumière d’un carré d’aération grillagé.
    Le temps que je m’effraie de les sentir anormalement glacées, Eloïn la sage, la forte, l’indestructible éclatait en sanglots en se jetant dans mes bras.
    — Les flammes, mère. Je les ai vues lécher mes pieds. Gagner le plafond, puis la pièce. Le temps que je m’en sauve, la ville tout entière était devenue brasier.
    Comme Jaufré, statufié, le sang avait quitté mes joues.
    — Quelle ville ? demanda-t-il, comme s’il refusait l’évidence.
    Eloïn s’arracha à mon étreinte en reniflant.
    — Blaye, père. C’était Blaye qui brûlait.
    Elle frissonna, malgré son front perlé de sueur, et darda sur nous deux prunelles enfiévrées. C’était la première fois que je la voyais ainsi ravagée.
    — C’est imminent. Cette nuit, la suivante, je ne sais, mais j’ai vu des êtres courir dans les ruelles, s’embraser en hurlant puis s’abattre sur les jonchées.
    Nous ne pouvions mettre en doute sa prémonition. Nous en découvrions trop la puissance au travers de ces manières, inhabituelles. Pouvions-nous pour autant l’empêcher ?
    Jaufré se reprit le premier.
    — Je vais de ce pas interdire les flambeaux en et hors les murailles.
    — Tu oublies que tu n’es plus maître des lieux, l’arrêtai-je. C’est à ton fils de le faire. Et le voudra-t-il ? Gâter un jour semblable…
    — Laissez-moi lui parler, je saurai le convaincre, insista Eloïn, reprise d’espoir.
    Jaufré l’attira un instant contre sa poitrine, lui offrant le réconfort de sa tendresse.
    — Quoi qu’il advienne, nous nous sauverons, Eloïn. Tous.
    Elle s’écarta. Hocha son beau visage empreint de terreur, nous marquant du choc des images qui la traversaient encore, par déferlantes, avant d’ajouter, sinistrement :
    — Oui, nous serons saufs, père, mais nous y perdrons tous une part de nous-mêmes.
     
    Geoffroy ne mit pas en doute la prescience de sa sœur. Ils étaient suffisamment complices tous deux, et ses traits défaits parlaient d’eux-mêmes. La laissant dans la pièce voisine où elle l’avait fait mander de toute urgence, il regagna la salle de réception, réclama une envolée de trompette, puis tandis que le héraut imposait silence, grimpa lestement sur le dossier rabattu d’un lourd coffre pour dominer l’assistance. Son sourire se voulait serein, sa révérence, un merci.
    — Oyez, oyez, gentes dames et preux chevaliers, le bonheur d’icelui qui ne voudrait point regretter sa feste. Le castel est étroit pour autant de ripaille. Nous festoierons donc sur l’esplanade qui domine le fleuve, sous le manteau d’étoiles, et si nombre d’entremets vous divertiront, souffrez, mes amis, que les cracheurs de feu s’abstiennent. L’herbe est bien sèche de ce temps et je ne voudrais de rôtis qu’en les cuisines.
    On rit dans la salle que nous avions rejointe. D’un pas généreux, Richard se planta au pied du coffre,
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