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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions
Autoren: Mireille Calmel
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et cet autre que vous me préférâtes il y a peu encore. J’attends mon heure en priant pour qu’elle ramène en vos yeux cet éclat que je n’y vois plus. Cet espoir que vous avez perdu.
    Elle sentit de nouveau une perle d’eau affleurer sa paupière inférieure, mais, cette fois, ne chercha pas à la masquer. Son timbre s’en fit l’écho.
    — Je ne vous mérite pas, mon ami. Et j’en viens à croire n’avoir mérité personne tant il semble que mes amours finissent toutes par se briser, telle cette marée montante au pied des rochers.
    Cédant à son élan, il avança sa main libre pour la nouer à sa taille et l’attirer à lui. Elle se laissa plaquer sensuellement contre ce bliaud blanc qu’une simple ceinture retenait aux hanches, découvrant contre le sien, indigo, l’épaisseur d’une poitrine qui battait une mesure oubliée. Elle accola sa joue contre le cœur de son ancien amant. Malgré sa haute taille, il la dépassait encore de plusieurs pouces. Il n’avait pas lâché sa main, la pressa plus fort dans la sienne, le nez perdu dans le parfum fleuri de sa chevelure.
    — Dans quelques jours, la terre de mon ami Jaufré verra des épousailles. Dans quelques jours, Aliénor, ce sont les rires qui emporteront les larmes. Je serai là, comme je fus là hier, comme je serai là demain, à vous regarder louer l’amour de ces jouvenceaux avec cette foi qui est vôtre de ne jamais baisser les bras, de toujours aller de l’avant et de bâtir, de rebâtir, quelles que soient les ruines. Je serai là et vous le saurez, cette fois, par cette étreinte que je vous vole à l’instant. Qu’importe que vous y succombiez encore.
    Qu’importe qu’un autre vienne éblouir vos sens. Vous serez mienne. Toujours et à jamais, tant je vous aime. Tant je vous aime, Aliénor, du souvenir que vous m’avez laissé.
    Elle vacilla sous le poids de cet aveu. N’avait-elle pas cherché de moultes manières à taire ses propres émotions, à refuser l’évidence pour ne pas risquer de le faire souffrir encore, à se persuader qu’elle avait aimé Patrick de Salisbury quand chaque jour, lorsqu’elle voisinait Ventadour, elle s’emplissait d’un sentiment d’âme sœur ? Elle leva lentement son visage vers le sien.
    — Bien sotte serait celle qui pourrait vous oublier. Je ne l’ai jamais cherché, Bernard. Sachez-le, ce souvenir que vous invoquez est toujours mien aussi. Il ne demande qu’à renaître. Mais serai-je encore digne de…
    Il ne la laissa pas achever. Lors, nouant ses bras à sa nuque, elle lui rendit son baiser comme on rend les armes, dans l’espoir de guérir toute plaie. Avec la certitude en plus qu’elle était, de tout, pardonnée.
     
    *
     
    Depuis quelques jours, Eloïn avait les traits tirés. Son rire jaillissait toujours comme une source vive sous une pointe d’humour, les moqueries d’Agnès ou les chatouilles de Richard qui s’enroulait parfois autour d’elle comme une anguille, avant de s’en retourner auprès de Geoffroy qui trompait l’impatience de son mariage de quelques passes d’armes. Nous étions tous en effervescence, à dire vrai. Le castel de Blaye mais aussi la ville, ses alentours, la châtellenie au grand complet. Jaufré l’avait annoncé. En prenant épouse, son fils prenait Blaye et en devenait le seigneur. Certes, nous continuerions à percevoir rente, mais il aurait loisir d’administrer les domaines à sa guise et de s’imposer auprès de nos voisins. Cette passation de pouvoir nous avait semblé juste. Sans doute parce que Eloïn avait reçu de moi et de Brocéliande la sienne. Aussi parce que, les semaines passant, Agnès nous ravissait. Nous avions achevé son trousseau et avions entrepris de préparer la grande feste que nos vassaux espéraient, ce dans une joie grandissante mais aussi une vraie fatigue. Il n’est rien de tel que l’excitation d’un événement important pour nous user sans que nous y prenions garde. Je voyais donc se creuser les cernes au visage de ma fille, comme je devinais les miens à ressasser sans cesse tous les détails. Le banquet, les vins, les fleurs, les jonchées, la litière pour les petites gens, à disposer sous les remparts pour qu’ils puissent s’y installer, je voulais qu’aucune fausse note ne vienne gâter ce jour béni et que l’on s’en souvienne de génération en génération comme la consécration de mon amour avec Jaufré.
    Aussi, lorsqu’elle s’avança vers moi à quelques jours de ce
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