Le règne des lions

Etaient-elles donc maudites, que l’enfer s’y était invité ? Je ne savais plus que croire, que penser. Poussée par un vent qui forcissait de minute en minute et rabattait les flammèches jusqu’au castel, la fumée m’emplissait les poumons, me masquait parfois les images, ne me laissant que les cris sinistres des gens et des bois tordus, léchés. Malgré cela, je ne parvenais à refermer la fenêtre.
    Il fallut qu’une main me tire vers l’arrière, m’arrache à mon anéantissement, qu’une autre referme la fenêtre, puis me retourne, larmoyante, les cheveux blanchis de cendres, le visage noirci. Jaufré. Comme moi, il pleurait des larmes de sang en m’attirant sur son cœur.
    — Le feu est dans l’enceinte du castel. Le grand chêne est pris. Les autres ne tarderont pas à suivre. Il faut partir.
    — Quelques secondes encore, murmurai-je.
    Il me les accorda.
    Il se les accorda, avec plus que moi le sentiment inéluctable d’une fin, les yeux rivés à cette croisée rabattue comme la pierre d’un tombeau, prisonnier de la même incertitude que moi. Que resterait-il de nous, de Blaye, de l’Aquitaine et de l’Angleterre demain ?
    Dans un sursaut de courage, celui que j’avais toujours aimé en lui à l’instant des décisions ultimes, il m’arracha à son étreinte dans un souffle redevenu rauque, brisé.
    — Viens.
    Lors, ensemble, derniers bastions de cette citadelle de souvenirs, nous descendîmes l’escalier, traversâmes le castel déserté puis, loqueteux d’âme, refermâmes sur nous la trappe du souterrain.

 
     
     
    À paraître ALIÉNOR**