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Retour à Soledad

Retour à Soledad

Titel: Retour à Soledad
Autoren: Maurice Denuzière
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1.
     
    – C'est un garçon ! lança lady Lamia en jaillissant sur la galerie de sa maison.
     
    Elle annonça ainsi à Charles Ambroise Desteyrac qu'Ounca Lou venait, en ce jour de juillet 1857, de lui donner un fils. L'ingénieur quitta le rocking-chair dans lequel il balançait son angoisse et son impatience depuis qu'on l'avait prié de quitter la chambre de sa femme. Il prit Lamia dans ses bras et, le visage enfoui dans l'opulente crinière grise de Fish Lady, l'embrassa avec fougue. Les yeux mouillés, un large sourire découvrant ses dents de carnassier, Lamia lui rendit son étreinte et ses baisers.
     
    – Êtes-vous heureux, au moins ? demanda-t-elle.
     
    – Une épouse et un fils ! Que puis-je désirer de plus ? lança-t-il avec plus de chaleur que d'émotion, sans être certain de l'opportunité d'un tel rappel de soi.
     
    – On vous permettra bientôt de les voir. Mais, rassurez-vous, Ounca a bravement supporté l'accouchement. Elle va bien, l'enfant est superbe, Uncle Dave est enchanté.
     
    Se tournant vers Ma Mae et sa fille Serafita, qui attendaient avec les autres domestiques en jacassant au pied de l'escalier de la galerie, lady Lamia proclama :
     
    – C'est un garçon ! It's a boy , répéta-t-elle pour être comprise de tous.
     
    Des exclamations, des cris stridents, des gloussements, des battements de mains saluèrent l'événement puisqu'il semblait satisfaire la maîtresse de Buena Vista.
     
    – Savais bien qu'était un ga'çon. Sont toujou' p'essés de sorti'. Les filles font attend'e. Sont jamais d'avance, dit Ma Mae.
     
    La cuisinière était satisfaite de voir la prédiction qu'elle répétait depuis des semaines heureusement confirmée.
     
    – Porte mes draps brodés dans la chambre du bas, ordonna Lamia à Serafita avant de rentrer dans la maison.
     

    Le vent violent du sud-ouest, qui soufflait depuis plusieurs jours, venait, en s'apaisant, de virer au nord. Les nuages de pluie, poussés vers l'intérieur de l'archipel, libéraient le ciel de Soledad, soudain rendu au bleu ravivé des lendemains d'orage tropical. Le nouveau-né arrivait avant le temps des ouragans, redoutés dès le mois d'août.
     
    Tandis qu'on donnait les soins à la mère et à l'enfant Charles oublia l'inquiétude qui l'habitait depuis qu'Ounca Lou avait ressenti les premières douleurs. Avait-il jamais imaginé qu'il pourrait un jour être père ? Et, de surcroît, sur une île des Bahamas où il n'était venu, quatre ans plus tôt, que pour construire un pont 1 . Cette naissance confirmait un ancrage auquel il n'eût jamais songé avant de rencontrer Ounca Lou. Français intégré – par confort plus que par détermination – à la société insulaire britannique, il aurait dû, un jour, quitter cet Éden tropical pour retourner en Europe, sans rien laisser de plus qu'un pont et des amitiés temporaires. La responsabilité nouvelle qui venait de lui échoir changeait la donne et obérait sa liberté.
     
    La maîtresse au sang mêlé, dont la beauté avait enflammé ses sens avant qu'il ne découvre son intelligence, ses goûts et ses connaissances scientifiques, rares chez une insulaire de sa génération, ne donnerait-elle pas, devenue mère, la priorité à l'amour maternel sur la passion amoureuse ? Comme pris au dépourvu par un événement cependant attendu et daté, il commençait seulement à envisager les répercussions que celui-ci aurait sur sa propre vie. « Hier amant, aujourd'hui mari et père : destin banal entre tous », se dit-il, avant de rejeter ce réflexe égoïste, se demandant si le bonheur d'un couple peut être altéré par la présence d'un enfant. Son amour pour Ounca Lou restait intact, ardent et sincère. En serait-il de même de celui de la jeune mère ? Il eût certes étonné sa femme, autant que la marraine et mère adoptive de celle-ci, en donnant étourdiment à entendre qu'il pût en être autrement.
     
    Ayant repris son balancement dans le rocking-chair en attendant d'être autorisé à voir l'accouchée, l'ingénieur se remémora les heures écoulées depuis la veille.
     
    Quand était venu pour Ounca Lou le moment d'accoucher, Charles et sa femme s'étaient mis en route pour Buena Vista. La future mère tenait à mettre son enfant au monde chez sa marraine, dans le manoir où elle avait vécu enfance et adolescence et où elle serait assurée des meilleurs soins. Dès les premières douleurs, le docteur Kermor, dit Uncle Dave, était
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