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Le neuvième cercle

Le neuvième cercle

Titel: Le neuvième cercle
Autoren: Christian Bernadac
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l’Ain et de la Savoie, mais aussi beaucoup de raflés, d’aventuriers dont la première réaction devant le régime auquel ils étaient soumis était de s’écrier : « Pourquoi les Allemands nous ont-ils mis dans cet enfer ? Nous ne leur avons rien fait ! » Une nouvelle sélection s’établit ; les nouveaux arrivants portaient comme nous le triangle rouge des « Politiques », mais tous ne méritaient pas cette étiquette, le problème consistait à distinguer les vrais résistants des faux, d’autant plus qu’aucun parmi eux n’était N.N., si ce n’est cependant le père Jacques. Dès le début 1944, la petite communauté française des N.N. est noyée au milieu de Français qui ont reçu la permission d’écrire chez eux et qui reçoivent des colis. À l’inconvénient dû à la promiscuité de bandits et d’étrangers, s’ajoutaient ainsi au sein même des Français des différences de tendances et d’éducation d’une part, des différences appréciables dans le régime alimentaire d’autre part, ce qui n’était pas fait pour faciliter le développement de l’esprit communautaire.
    — La faim fut, en effet, une des armes les plus redoutables des nazis dans leur effort de désagrégation de l’homme. Avoir faim, dans le langage courant, c’est avoir un peu plus d’appétit que de coutume parce qu’on s’est mis à table deux heures trop tard ou que le fumet d’un mets agit trop vivement sur les papilles olfactives ; la faim à Gusen correspondait à un état physiologique et psychique qui n’a absolument aucun point commun avec ce que l’on devrait appeler appétit dans la vie normale ; la faim, là-bas, c’étaient des crampes d’estomac permanentes qui s’apaisaient à peine après l’absorption d’un litre de soupe, ration de midi, ou de 300 grammes de pain, ration du soir ; c’étaient des rêves hallucinants qui faisaient miroiter des montagnes de victuailles, qui vous réveillaient la nuit bavant sur les couvertures, c’était une souffrance intolérable qui vous réduisait à l’état de loup affamé, vous poussait impitoyablement à bâtir des projets insensés de vol, vous obligeait à détourner le regard des colis déballés sous vos yeux. Les Allemands ont instauré systématiquement la famine dans les camps de concentration. Il faut avoir vécu au milieu de squelettes ambulants où seuls vivaient encore deux yeux égarés pour savoir à quel point de maigreur invraisemblable les nazis réduisirent l’homme ; il faut avoir vu des êtres chercher des épluchures de légumes dans des tas d’ordures malgré les coups de matraque, il faut avoir avalé soi-même une gamelle de soupe infecte et brûlante en moins d’une minute pour comprendre ce qu’est la faim.
    — À Gusen, des milliers d’hommes sont morts d’inanition, après avoir maigri de 20, 30, 40 et même 50 kilos en quelques mois. Cela était-il voulu par les S.S. ou indépendant de leur volonté ? Cela était voulu. La preuve en est fort simple ; jusqu’à Noël 1942, époque où l’expansion nazie atteint son apogée, mais aussi son arrêt, aucun interné n’eut le droit de recevoir des vivres de chez lui : c’était l’époque d’élimination pure et simple où le travail à la carrière était considéré essentiellement comme un moyen d’extermination ; à partir de cette date, la majorité des internés put écrire et recevoir des colis : lorsque nous arrivâmes, il en était ainsi des Polonais, des Tchèques, des Yougoslaves, évidemment des Allemands, des Autrichiens et des Luxembourgeois ; en décembre 1943, enfin, les Français, désormais assez nombreux, écrivent à leur tour – les N.N. exceptés bien entendu – et les premiers colis de France arrivent à Gusen en février 1944. De plus, dès avril 1943, un nombre important de « Häftlinge » est utilisé comme main-d’œuvre dans l’industrie de guerre, nombre qui ira sans cesse croissant ; désormais deux régimes alimentaires coexistent à Gusen : à côté de l’ancien régime de famine qui subsiste pour « ceux de la carrière », s’établit un régime plus favorable pour « ceux de Steyr et de Messerschmidt », la soupe est meilleure et plus abondante, la ration de pain est augmentée : les dirigeants nazis essayaient de concilier tant bien que mal leur expérience concentrationnaire avec les réclamations des ingénieurs allemands qui se plaignaient – et pour cause ! – du faible
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