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Le neuvième cercle

Le neuvième cercle

Titel: Le neuvième cercle
Autoren: Christian Bernadac
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lorsque j’ai eu la plus belle frousse de toute ma vie. Avançant avec prudence et dans le plus grand silence, le long d’une haie, j’entends tout à coup, à quelques mètres de moi, un bruit de branches froissées et comme des pas. Je me plaque au sol, n’en menant pas large, jusqu’au moment où le souffle caractéristique émis par les naseaux d’un bovin me fait comprendre à qui j’avais affaire. Des vaches ! quelle aubaine ! Je traverse la haie et je distingue les silhouettes de plusieurs vaches. Prudemment, j’accoste la plus proche, la caresse. Elle paraissait pacifique. Je vérifie bien que j’avais affaire à une vache en constatant qu’elle avait des pis. Je décroche la cuvette qui me servait de gamelle et que j’avais gardée et me dispose à la traite. Chose extrêmement difficile quand on ne sait pas s’y prendre. Ce que j’ai pu recevoir comme coups de queue ! et éviter comme coups de pied de la vache avec sa jambe arrière cherchant à m’atteindre d’un mouvement latéral et rasant. J’ai failli renoncer. Je devais lui faire mal, ce qui la rendait nerveuse et méchante et, en outre, l’incitait à avancer. Il m’était difficile de la suivre à genoux en essayant d’obtenir du lait. Enfin, j’ai réussi. Il y a un certain mouvement d’appel à faire avant de tirer sur le pis, et le lait arrive en un jet puissant. Je me suis gavé. Je n’avais jamais fait un repas aussi substantiel et aussi bon.
    — La nuit suivante, j’ai fait beaucoup de chemin. Je n’entendais rien. J’avais l’impression d’être seul dans la campagne. Le petit jour me surprend au milieu d’une vaste plaine, sans aucun abri susceptible de me recevoir. Heureusement, il y avait une ancienne position de D.C.A. complètement dévastée et retournée par un bombardement. Des trous de bombes énormes, les canons avec les roues en l’air, des véhicules pour m’y cacher. Mon choix était bon car j’étais dans un fourgon contenant des sacs de paquetages.
    Fouillant dedans, j’ai eu la chance de trouver trois boules de pain rassis et moisi, un saucisson et quelques autres bricoles comestibles. De quoi faire un festin ! Une musette également récupérée, enfourna mon trésor.
    — Au nord, à proximité, passait une voie ferrée. Il y avait aussi plusieurs routes et tout près de moi un carrefour avec un panneau sur lequel je suis arrivé à déchiffrer : Steyr, Enns, Linz. Je voyais aussi à très courte distance une localité qui s’appelait, si je ne me trompe pas, quelque chose comme Grossaming. Je savais donc approximativement où j’étais et je savais aussi que le torrent qui traversait Steyr était l’Enns qui coulait sud-nord et que je devais obligatoirement le traverser. J’étais inquiet, me demandant où et comment trouver un pont en dehors d’une localité car j’étais absolument tenu d’éviter tous les lieux habités. Mais une fois encore, j’eus de la chance car, longeant le torrent impétueux vers l’amont, j’ai trouvé en pleine campagne un pont en bois, typiquement autrichien, avec son toit. Le jour venu, je me cache au bord d’une petite route sur laquelle je vois arriver et défiler devant moi un très long convoi de réfugiés. Quelle aubaine ! sortant ostensiblement de mon buisson, comme si je m’y étais dissimulé pour une raison physiologique naturelle, je me joins à la colonne. Jeune encore, alors que tous les hommes jusqu’à soixante-cinq ans étaient mobilisés, je risquais d’attirer l’attention, bien que n’ayant pas belle mine. J’étais, à l’exception de mon beau chapeau, misérablement vêtu et, pour faire mieux, je me suis mis à marcher en traînant péniblement derrière moi une jambe raide. Dans la foule, personne ne s’est occupé de moi. Repérant soigneusement où, dans leur carriole, mes compagnons de route avaient placé leurs victuailles, j’ai mis la nuit suivante en pratique la méthode du « comme ci, comme ça ». Je dois reconnaître que j’étais virtuose, car j’ai, sans aucune bavure, bien regarni ma musette. Cela alla ainsi jusqu’au lendemain, au moment où le convoi s’arrêta. On appelait en tête les responsables par localités. Allant voir ce qui se passait, je fus atterré. Nous étions arrivés au bord d’une très large et profonde vallée, encaissée, au fond de laquelle il y avait un gigantesque barrage avec une usine électrique. En amont, un lac immense, en aval, sous la chute, des eaux
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