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Le neuvième cercle

Le neuvième cercle

Titel: Le neuvième cercle
Autoren: Christian Bernadac
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rendement de leurs « ouvriers ». Nous n’étions qu’un rebut de l’humanité, certes, mais un rebut qui pouvait encore être utilisé pour la machine de guerre allemande.
    — Ce régime favorable prit fin avec l’année 1944 ; la ration de pain fut brusquement diminuée de moitié, la soupe ne fut plus qu’un jus infect où nageaient quelques morceaux de rutabagas ; les quatre derniers mois à Gusen, comme dans tout autre K.L., virent la mortalité s’élever à une cadence jusqu’alors inconnue. Pour essayer de faire comprendre à quel point la faim était aiguë, je décrirai simplement le spectacle hallucinant dont Gusen fut le théâtre le 28 avril 1945 : ce jour-là, Français, Belges et Hollandais quittent le camp pour Mauthausen d’où la Croix-Rouge suisse doit les évacuer afin de procéder à un échange des membres de la Gestapo faits prisonniers pendant la campagne de France et de Belgique (échange qui n’eut d’ailleurs jamais lieu). À cette occasion, nous avons reçu chacun un colis de la Croix-Rouge américaine, le seul que nous ayons jamais reçu ; nous sommes un millier de rescapés, en rangs de cinq, attendant pendant trois heures le départ, sous une pluie battante ; en trois heures, nous avons pour la plupart ingurgité les cinq kilos de vivres du colis : sardines à l’huile avec pain d’épices, corned-beef avec chocolat, le tout à l’avenant ! Des centaines d’êtres, dont beaucoup tiennent à peine debout, dévorent… sous la protection des kapos armés de schlagues qui repoussent les assauts de dizaines, de centaines de Russes et de Yougoslaves affamés !
    — Voilà dans quelles conditions nous devions mener la lutte contre la déchéance à Gusen. Lutte rendue encore plus difficile par les conditions d’hygiène que nous imposait l’entassement invraisemblable auquel nous étions soumis.
    — Dès l’arrivée à Mauthausen, tous les déportés étaient consciencieusement tondus de la tête aux pieds, douchés et vêtus d’une chemise et d’un caleçon rayé propres ; mais une heure après, ces mêmes hommes étaient couchés « en sardines » sur des paillasses pouilleuses dans une chambre de quarantaine empestée par l’haleine de trois cents individus ! Le linge était renouvelé tous les deux mois en principe, mais nous gardâmes le même jusqu’à quatre mois, sans possibilité de le laver. Inutile de dire que les poux pullulaient ; en quarantaine, j’en tuai personnellement jusqu’à cent par jour ; en temps normal, cela variait avec les blocks ; certains étaient tenus avec une propreté méticuleuse, ridicule même : dans ceux-là, nul étranger ne pouvait entrer, et leurs occupants mêmes devaient y pénétrer, leurs chaussures à la main ; le contrôle des poux y était obligatoire tous les soirs ; dans d’autres, au contraire, c’était un va-et-vient continu, un laisser-aller bien compréhensible pour des hommes qui revenaient harassés par douze heures de travail continu et qui n’avaient même plus le courage de se laver ni de s’épouiller.
    — Se tenir propre était d’ailleurs un véritable tour de force : l’allocation mensuelle de savon était dérisoire, et la plupart du temps il fallait se contenter de se laver à grande eau ; il y avait bien « douches » une fois par semaine, mais je ne sais si c’était par mesure d’hygiène ou d’extermination : il fallait s’y rendre complètement nus, quelle que soit la température, rester obligatoirement à trois ou quatre sous le même jet alternativement chaud et glacé, et sortir rapidement sans avoir pu s’essuyer.
    — Chaque block était désinfecté régulièrement tous les deux ou trois mois, c’est-à-dire empli de gaz pendant la journée ; cette nuit-là, les occupants du block dormaient nus, et dès 3 heures du matin, essayaient de retrouver dans un fouillis inextricable leurs vêtements humectés de vapeur d’eau bouillante ; chaque désinfection coûtait la vie à plusieurs hommes, conséquence plutôt inattendue d’une soi-disant mesure d’hygiène.
    — Mais si l’on ne donnait pas à la masse des détenus la possibilité d’être propres, les privilégiés – chefs de blocks, chefs de chambres, kapos, d’une façon générale les Allemands et les « Häftlinge » qui occupaient des postes de faveur – qui, eux, possédaient une véritable garde-robe et faisaient laver leur linge moyennant quelques gamelles de soupe volées
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