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Le neuvième cercle

Le neuvième cercle

Titel: Le neuvième cercle
Autoren: Christian Bernadac
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à la collectivité, ces privilégiés-là, nos supérieurs dans la hiérarchie concentrationnaire, ne faisaient pas faute de nous traiter de « schwein » à longueur de journée, de nous écraser de leur mépris et, à l’occasion, de nous infliger vingt-cinq coups sur les fesses pour nous apprendre à être propres ! À force de vivre auprès d’une minorité vêtue correctement, on finissait par sentir se développer en soi un véritable complexe d’infériorité ; en français, il est un proverbe qui dit : « L’habit ne fait pas le moine », mais un ouvrage allemand a pour titre : Klaider machen Leute. Il faut avouer que cette dernière formule se vérifie pratiquement plus souvent que la première ; en tout cas, elle se vérifiait pleinement à Gusen : les S.S. savaient bien ce qu’ils faisaient en dépouillant les déportés de tous leurs effets personnels dès leur arrivée à Mauthausen, et en les revêtant aussitôt de la fameuse tenue rayée ou d’un costume plus ou moins carnavalesque qui faisait d’eux de véritables guignols ! Ainsi vêtu, chaussé de claquettes ou de gros sabots, la tête rasée et tondue du front à la nuque sur une largeur de 4 centimètres, couvert de crasse et de poux, le nouveau pensionnaire, quelle que soit sa valeur intrinsèque, devenait vite un pantin au milieu d’autres pantins ; nous-mêmes, les « rescapés » en évoquant certains souvenirs vestimentaires, ne pouvons nous empêcher de rire du ridicule de notre tenue là-bas : les camps étaient non pas d’inspiration « ubuesque » comme on a pu le dire, mais d’« apparence ubuesque » !
    — C’est justement ce à quoi voulaient atteindre les Allemands pour essayer de faire oublier à leurs victimes et à eux-mêmes le caractère épouvantable de leur crime contre l’homme : comment pouvoir considérer comme un combattant sérieux un individu maigre et sale, habillé d’une façon grotesque, ayant l’aspect extérieur et souvent le comportement d’un animal ? Comment, dans de telles conditions, pouvoir se considérer soi-même comme un combattant ? Comment ne pas reconnaître enfin la victoire du nazi en se laissant mourir de désespoir, ou au contraire, en se laissant aller à des actes de brutalité sur ces êtres ridicules et agaçants à force de misère ?
    — Les Allemands ont réussi dans les K.L. à défigurer la notion du prochain, en acculant l’homme à une décrépitude physique jusqu’alors inconnue. Ce n’est pas le moindre de leurs crimes.
    — Même les maladies étaient avilissantes : la dysenterie faisait ses ravages autant dans le moral que dans le corps des hommes ; les phlegmons purulents rongeaient les jambes et poussaient le malade au dégoût de lui-même, comme la gale… comme la furonculose… et ce dégoût s’ajoutait facilement au désespoir de voir les plaies se creuser chaque jour de plus en plus par manque de soins et de vitamines. Entrer au « Revier » était difficile, le major S.S. n’acceptant que les cas très graves qui empêchaient la continuation du travail, et de plus dangereux : régulièrement des malades du block 31, jugés incurables, étaient « piqués », leurs corps décharnés entassés devant le four crématoire avant de se volatiliser en fumée ; rien n’était plus poignant et ridicule à la fois que ces cadavres nus aux visages grimaçants que l’on « trimbalait » comme des sacs d’os : à Gusen, le respect de la mort n’existait pas, il n’aurait pas fallu que les survivants croient à une revalorisation possible de leur être aux yeux de leurs bourreaux !
    — En attendant de mourir, les concentrationnaires travaillaient douze heures par jour. Travail destiné à compléter l’œuvre de la sous-alimentation. Les deux kommandos les plus meurtriers étaient incontestablement ceux des deux carrières de granit qui surplombaient le camp de leurs sinistres murailles grises ; mille cinq cents hommes environ, ventre creux et mal vêtus, s’y affairaient toute la journée, sous la schlague des plus beaux criminels d’Europe, aux températures hivernales de moins 25° comme aux chaleurs étouffantes de l’été ; dans le crépitement des marteaux pneumatiques et les hurlements des kapos, des hommes transportaient des pierres, poussaient des wagonnets lourdement chargés jusqu’à l’immense concasseur dont la construction en 1941 avait coûté la vie à deux mille Espagnols. Carrière était
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