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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne
Autoren: Marie Bourassa
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Chapitre I
Gît-le Cœur
    Aux environs d’Arpajon (1) , octobre 1358
    — Maître, appela la voix doucereuse de Desdémone.
    La femme lui peignait tendrement les cheveux en arrière avec les doigts. Louis se réveilla. Derrière son dos, il sentit de nouveau le contact du tronc rugueux contre lequel il s’était appuyé pour dormir. Il cligna des yeux. Vêtue de penailles* (2) informes, elle s’était lovée juste à côté de lui. Maintenant, assise plus droite, elle lui souriait. Bien qu’elle eût considérablement maigri, elle demeurait plantureuse. La chaîne qui pendait de son bracelet de fer cliqueta sur l’abdomen du bourreau qui, lui, en portait un identique auquel était reliée l’autre extrémité de la chaîne. Autour d’eux, les branches des arbres dépouillés de leurs feuilles craquaient pour tenter d’effaroucher les lents brouillards de novembre. Un ruisseau sinuait en bas d’une pente émaillée de rochers moussus.
    À l’instant où Louis s’apprêtait à rouler de côté pour s’éloigner de la femme, il sentit le contact glacé d’une lame sur sa gorge. Desdémone sourit de plus belle en serrant le manche de sa dague qu’elle lui avait subtilisée pendant son sommeil.
    Louis ne bougea pas. Il ne chercha pas à se défendre. Il la regarda dans les yeux et attendit. Il murmura :
    — C’est tout simple.
    — Je peux le faire, tu sais, répondit-elle entre ses dents serrées. Son sourire se transforma en grimace.
    — Alors, fais-le.
    Sans la quitter des yeux, il leva la tête et lui offrit sa gorge.
    — Vas-y, fais-le, dit-il.
    Depuis le coin où il avait été mis à l’attache avec le mulet, tout près de la tente, Tonnerre hennit avec inquiétude. Il chercha à se libérer du pieu qui le retenait. La lame produisit un petit « tchic » désagréable en effleurant la pomme d’Adam de son maître. Louis ne se déroba pas. La main de Desdémone se mit à trembler.
    La prévôté de Paris avait congédié Louis quelques mois plus tôt. Au lieu de retourner à Caen comme il eût dû le faire, il avait erré sans but dans les campagnes et les forêts environnantes en traînant Desdémone avec lui. Il l’avait contrainte à se prostituer pour leur fournir au moins de quoi assurer leur subsistance. « Pour une fois que ça me rapporte de te laisser à tes bas instincts », lui avait dit celui qu’elle tenait maintenant à sa merci. Louis était sale et négligé : il ne s’était pas rasé depuis plus d’une semaine. De la terre et une barbe clairsemée lui barbouillaient le visage. Et il ne se défendait pas.
    Desdémone dit, d’une voix rauque :
    — On dirait un suicide. C’est ça que tu veux ?
    Elle n’eût jamais cru qu’un jour elle allait en venir là avec lui. Le suicide était un acte méprisable, vil, que l’on réprouvait, quelles que fussent les raisons qui pouvaient amener un individu à y recourir. Seul un lâche était capable de s’enlever la vie plutôt que d’affronter l’adversité. C’était certainement ce qu’il avait toujours cru, lui aussi. Or voilà qu’elle découvrait qu’il était un lâche. Pire qu’un lâche, puisqu’il se refusait jusqu’à la dignité de s’enlever la vie de sa propre main. Comme s’il jugeait que cela n’en valait même pas la peine.
    Desdémone ne pouvait pas comprendre ce qui se passait dans la tête de Louis. Lui-même n’était plus très sûr de ses pensées.
    La colère dévastatrice qui avait depuis toujours fait partie de sa vie s’était brusquement tarie avec le trépas de Firmin. Mais à cette colère s’était substitué quelque chose de bien pire, une sorte d’insensibilité polaire, un dangereux substitut de la méchanceté. Louis découvrait avec étonnement que rien ne l’atteignait plus. Cette impression d’immunité absolue était merveilleuse, enivrante. Quoi qu’il advînt, rien ne pouvait être pire que ce qu’il avait jusque-là vécu et accompli. En franchissant ce stade ultime qui le délivrait un peu plus de sa conscience, il parvenait à s’éloigner davantage, à se libérer de sa qualité d’homme et des restrictions morales dans lesquelles s’empêtrait la nature humaine.
    Louis ne voulait pas mourir. Loin de là. Il inspectait sa nouvelle arme, il jouait avec elle, il la mettait à l’épreuve. C’était là ce que Desdémone ignorait. Il lui dit :
    — Un peu de cran, voyons. Tu y es presque. Ne me dis pas que tu tiens à moi. C’est ridicule. Je ne
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