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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne
Autoren: Marie Bourassa
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N’as-tu pas dégusté un peu trop de ce bon vin de cassis depuis ce matin ?
    — Mandez-le, si vous ne me croyez pas, mon père. Vous verrez par vous-même. Et je n’ai pas bu.
    — Hum.
    — Bon, d’accord, j’admets que j’ai un peu bu, et ma vue n’est plus ce qu’elle était. Mais quand même, il m’aurait fallu être aveugle pour ne pas voir cette épée monstrueuse…
    — Une épée ? Serais-tu en train de me dire que cet homme a brandi une épée ici ?
    — En plein sous mon nez, mon père, au vu et au su de tous. Cet être démentiel m’a même menacé de me couper la tête si je ne le laissais pas entrer.
    — Seigneur tout-puissant. Bon. Ne le faisons pas attendre davantage. Je ne voudrais pas qu’il en prenne ombrage et que ma propre tête lui fasse envie. Fais-le entrer. Mais je compte sur toi pour aller prévenir l’abbé. Mieux vaut se montrer prudents…
    — Non seulement j’y vais de ce pas, mais permettez-moi de vous dire que j’y ai pensé bien avant vous, mon père.
    Offusqué, le vieux portier sortit et maintint la porte ouverte pour livrer passage au géant qui dut baisser la tête sous le chambranle pour pénétrer dans l’étude. Le père Bernard se réjouit d’être déjà assis derrière son bureau ; ainsi il était assuré que ses jambes faibles n’allaient pas, en fléchissant, trahir sa crainte qui eût risqué d’insulter ce visiteur trop prompt. Il offrit à Louis une tentative de sourire et dit d’une voix qui tressautait plus qu’avant, montrant un tabouret devant le bureau :
    — Je vous en prie, mon ami. Prenez place.
    Louis obéit. Le tabouret craqua sous son poids. Bernard demanda :
    — Que puis-je faire pour vous ?
    Louis n’y alla pas par quatre chemins. Il demanda, à brûle-pourpoint :
    — Me reconnaissez-vous ?
    — Comment ? Si je vous… ?
    — Oui. Est-ce que vous vous souvenez de moi ?
    Le père Bernard fronça les sourcils et, d’abord avec une certaine appréhension, il détailla le visage de son hôte. Enfin, le vieux maître secoua la tête et répondit :
    — Hélas, non, je regrette.
    Il sut tout de suite qu’il avait commis une erreur : visiblement, cette réponse déplaisait à l’homme. Bernard songea qu’il aurait sans doute été plus avisé de mentir et d’essayer, dans la mesure du possible, de lui dire ce qu’il voulait entendre. Ce n’était pas là le genre de gaillard avec lequel on pouvait se permettre de finasser. Cependant, le géant s’était contenté de détourner les yeux. Il dit :
    — Peu importe. J’aurais dû m’y attendre. Bernard essaya de tempérer l’effet de sa bévue.
    — Oh, mais n’en soyez pas marri, jeune homme. Le temps fait son œuvre, vous savez, et ma mémoire est défectueuse. Elle n’est plus ce qu’elle était. Si vous éclairiez ma lanterne ?
    Louis hésita. Après s’être passé le bout de la langue sur les lèvres, il répondit d’une voix enrouée, comme s’il n’avait pas parlé depuis longtemps :
    — Ruest.
    — Ruest ? Vous voulez dire… le fils Ruest ? Mais c’est un boulanger, pas un bourrel*.
    Louis se leva si précipitamment que le vieux moine s’écrasa contre le dossier de son fauteuil. Il marmonna :
    — Laissez, laissez, je n’ai rien dit.
    — C’était un boulanger. C’était le fils Ruest. Maintenant c’est Baillehache, et c’est un bourrel*. Tenez, prenez ça.
    Sur ce, il jeta la lettre de Friquet sur le coin du bureau, dégaina son épée et la posa bruyamment dessus. Le père Bernard émit un petit couic. Louis défit sa ceinture d’armes et son baudrier de cuir rouge sombre qu’il laissa tomber à terre avec l’étui contenant sa dague. Sous le regard subjugué du maître des postulants, il retira également ses bottes de feutre et planta ses doigts dans son col rigide. Il commença à déchirer ses vêtements pour les enlever. Sa petite fibule*d’étain tomba et roula sur le plancher avant d’aller se perdre sous le bureau.
    — Je ne veux plus être le fils Ruest ni Baillehache. Je ne peux plus être un boulanger et j’en ai assez d’être un bourrel*, vous m’entendez ? Reprenez-moi.
    Étayé par ses poings posés sur le bureau, Louis se penchait au-dessus du vieux moine. Les pans déchirés de sa chemise de coutil ballottaient sous ceux de son floternel* noir et laissaient paraître une poitrine zébrée d’anciennes lacérations que quelques poils bouclés n’arrivaient pas à cacher.
    — Je
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