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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne
Autoren: Marie Bourassa
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suis personne pour toi. J’existe pour rien.
    Desdémone conservait juste assez de méchanceté en elle pour avoir soudain une vague idée de ce qu’il était en train de faire. Elle prit peur et jeta la dague sur les cuisses de Louis comme si elle lui brûlait la main. Misérable, elle éclata en sanglots en se laissant choir contre lui. La chaîne de fer cliqueta entre eux. Il ne bougea pas.
    — Tais-toi ! Tais-toi, espèce de salaud ! cria-t-elle. Tu vois clair en moi. Ça me fait peur. Tu sais que j’en serais incapable.
    — Oui, je le sais.
    — Toi et moi, on est de la même trempe.
    — Dieu m’en préserve.
    Elle embrassa avec une dévotion non feinte la marque en fleur de lys qu’il lui avait faite à l’épaule et qui avait fait d’elle une prostituée aux yeux de la société. Elle se mit à lui caresser les épaules, et le bout des mèches raides qui les effleuraient. Elle dit :
    — Maudit sois-tu ! Je devrais t’avoir en horreur, toi, le gredin qui a dévoré mon amant comme un vulgaire gigot. Mais je t’aime. Je t’aime et je te déteste, et je n’y comprends rien. C’est comme ça depuis le jour où Magister t’a trouvé. Tu me mets le cœur à l’envers. J’ignore comment tu t’y prends, mais c’est comme ça ; et toi, tu te joues de moi. Tu es un monstre. Je devrais trouver le courage de te tuer. Je devrais me libérer de toi et de tes maudites chaînes.
    Louis leva les yeux vers les branches enchevêtrées et dit tout bas, d’une voix monocorde :
    — Quel ramassis de billevesées. Ah, tu m’aimes. C’est effectivement dommage. Pour toi surtout. Je te croyais plus forte.
    — Va au diable !
    Desdémone repoussa le bourreau et le gifla avec violence. Il ramassa sa dague et, pensif, en caressa machinalement le fil. Desdémone eut un mouvement de recul. D’une secousse brutale sur la chaîne, il attira sa prisonnière contre lui et scanda :
    — Ne porte plus jamais la main sur moi, sale vaurienne. Ne me touche plus. C’est compris ?
    Desdémone fit un bref signe d’assentiment. Elle sut qu’il n’allait pas y avoir de suicide.
    On ne pouvait tuer celui qui ne vivait déjà plus.
    *
    Il longea le cloître, parcourut le réfectoire, le dortoir et les cuisines. Là où il n’était pas arrêté par des portes closes, il n’aboutissait qu’à des murs. Il n’y avait aucune issue possible. Les autres, eux, circulaient en silence dans un long déambulatoire, rapidement, comme des spectres vêtus de bure poussiéreuse. C’étaient peut-être des moines et il y en avait beaucoup. Même s’il se mit à errer parmi eux à contresens, ils s’écartaient sur son passage sans se nuire. Personne ne le regardait. Il savait très bien pourquoi : ils avaient honte pour lui.
    L’un d’eux s’arrêta brusquement et rabattit son capuce d’un geste rageur avant de dire :
    — Qu’attendez-vous pour aller ramasser ce mort ?
    Louis sursauta. Ils savaient donc cela aussi. Ils l’avaient tous vu, ce mort. Et c’était la raison pour laquelle ils avaient honte. Mais comment avaient-ils fait pour trouver le cadavre ? Il l’avait bien pourtant caché, cet homme qu’il avait tué de ses propres mains, dans un endroit connu de lui seul.
    Il se hâta vers la crypte où avait été abandonnée sa victime et y pénétra.
    Le trépas était récent. Louis retrouva l’homme tel qu’il l’avait laissé, étendu sur le dos, la tête rejetée en arrière et la bouche grande ouverte. Des mouches venues de nulle part s’étaient déjà posées sur ses yeux ouverts pour pondre leurs œufs. Une plaie luisait en travers de sa gorge comme un ruban mouillé. L’odeur du sang répandu n’était pas sans évoquer celle d’une boucherie, même si les remugles de ce type d’échoppe variaient selon les espèces animales qui y étaient abattues. L’odeur caractéristique du sang humain dissimulait celle de la pierre tapissée de salpêtre dans cet espace exigu. Au moins trois litres de sang avaient giclé des jugulaires tranchées avant que le cœur vigoureux ne se fût décidé à cesser de battre pour rien. Destin ridicule qui avait ramené l’homme vers le néant d’où il était issu.
    Eh quoi ! Avait-il brièvement cru que les choses puissent se passer autrement ? Qu’il eût pu entrevoir cette ultime vérité, peut-être, enfin dévoilée à l’agonisant au moment où il avait expiré et que son visage, pour un bref instant, s’était merveilleusement illuminé
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