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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor
Autoren: Mireille Calmel
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j’avais grandi, que j’avais vu s’ouvrir devant moi le premier regard gris de Jaufré.
    J’en repartis trois jours plus tard après avoir mis sur pied avec Henri et dame Mathilde un plan qui nous avait paru des plus intrépide.
    Lorsque je rejoignis Aliénor, la cour royale était à Beaugency dans l’attente du concile provoqué par le roi. Le 21 mars, les grands feudataires du royaume et les archevêques de Reims, de Bordeaux, de Sens et de Rouen rejoignirent cette docte assemblée de juges. La parentèle de Louis VII porta au concile de nombreuses accusations d’adultère à l’encontre d’Aliénor. Elle les accepta sans broncher, sachant que Louis resterait fidèle à leurs accords. En effet, il démontra que cela n’entraînerait qu’un divorce et non la nullité du mariage. La question fut donc tranchée : Louis et Aliénor étaient parents au troisième degré canonique. L’un et l’autre étaient issus de Guillaume Tête d’Étoupe, Aliénor par les hommes et Louis par les femmes, au terme de six générations. Aliénor était libre. Enfin !
     
    Le soir même, encapuchonnées dans de larges mantels sombres et juchées sur des chevaux aux harnais discrets, nous nous glissions par une porte dérobée pour retrouver l’escorte composée de Geoffroi de Rançon, Bertrand de Moreuil, et bien d’autres alliés. Nous souhaitions mettre le plus vite possible Aliénor à l’abri des convoitises. En forçant l’allure, nous pouvions atteindre Poitiers en deux jours.
    Geoffroi de Rançon avait été furieux de constater que je faisais partie de l’expédition. Ce n’était pas la place d’une femme enceinte, avait-il argué. En outre, je risquais de les retarder dans leur fuite, si besoin se faisait sentir de parer un danger. Mais je m’étais entêtée. Cette dernière ligne droite, je l’avais méritée. Je voulais être celle qui mènerait Aliénor à Henri.
     
    L’herbe était douce comme un tapis de velours. Des églantiers tout proches répandaient une odeur sucrée que convoitait en un bourdonnement incessant une nuée d’abeilles. Il faisait bon. Nous nous étions assises par terre, et nos montures broutaient avec délice, tandis que leurs flancs ruisselaient de sueur. Nous avions galopé sans répit depuis Tours, puis, mue par un de ces instincts qui ne me trompaient pas, j’avais averti Aliénor d’un danger proche. Nous étions à quelques lieues de Port-de-Piles où nous devions franchir la Creuse. Geoffroi de Rançon s’était sans hésitation rangé à mon avis. Il s’agissait d’un endroit idéal pour une embuscade. Aliénor, quant à elle, restait sceptique. Nul à part elle-même et notre équipage ne connaissait notre itinéraire. J’insistai pourtant et, comme chaque fois, elle me fit confiance. Geoffroi partit en éclaireur avec deux de ses hommes, nous laissant à l’orée d’un bois bordé de champs. Plus loin, la route étirait son mantel avec, piquée à chaque carrefour, une croix de pierre ornée sur son socle de fleurs printanières. Ce repos me fit du bien. L’enfant bougeait sans cesse depuis le début du mois, en un ballet incessant qui me ravissait et m’attendrissait. J’avais conscience que cette course n’était pas faite pour aider à tenir une grossesse aussi avancée, mais, si Aliénor tombait entre d’autres mains que celles d’Henri, je ne me le pardonnerais pas. Sans compter que celui-ci risquait fort d’être moins docile envers ce rival là qu’il ne l’avait été envers son roi. Quoi qu’il en soit, étendue sur le dos, les deux bras repliés sous ma nuque, je suivais avec bonheur la course des nuages, laissant mon imagination créer des formes et des personnages dans l’azur. Aliénor, elle, ne tenait pas en place. Elle ne cessait de se redresser au moindre bruit, grimpait sur une pierre pour guetter les mouvements sur le chemin, s’étirait, s’allongeait à mes côtés.
    – Calme-toi donc, la grondai-je enfin, les yeux mi-clos. Tu te fatigues inutilement.
    – Et si tu avais raison ? Si eux-mêmes étaient tombés dans un piège, s’ils ne revenaient pas ?
    – Geoffroi est bien assez malin pour ne rien risquer de ce genre, ma douce. À gesticuler ainsi, tu vas finir par attirer l’attention de quelque voyageur, qui, te prenant pour une paysanne avenante, viendra te conter fleurette.
    Elle soupira bruyamment.
    – Tu as raison. Mais tout cela m’agace. Vois à quoi j’en suis réduite, moi qui, hier encore, étais
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