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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor
Autoren: Mireille Calmel
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respectée par tous : à me cacher telle une maraude qui craindrait la potence.
    – Songe plutôt qu’avant longtemps Louis s’étranglera de colère en apprenant ton remariage. A ce propos, ne crois-tu pas qu’il serait bienséant qu’Henri aille lui demander ta main ? la taquinai-je.
    – Qu’il aille au diable ! Lui et son royaume de clerc ! Il apprendra la nouvelle en même temps que les autres ! Et tant mieux s’il s’en courrouce !
    – Je croyais que tu ne lui en voulais plus ?
    – Je ne lui en veux plus. Mais j’ai fini de courber l’échine devant un roi !
    Un long silence s’installa entre nous. Les gardes postés en guet autour de l’endroit s’amollissaient sous l’ombre du chêne. Sans que je la cherche vraiment, la voix perdue de Jaufré se mit à chanter dans mes oreilles. Mon cœur se serra lorsque se substituèrent à elle ces accents rauques chargés de « je t’aime » dont Jaufré m’avait abreuvé avant de regagner Blaye. Ce fut à mon tour de soupirer, si tristement qu’Aliénor tourna vers moi son beau front où dansait une mèche d’or échappée du peigne.
    – A quoi songes-tu ?
    – À Jaufré, répondis-je d’une voix émue. Il me manque.
    – Bientôt. Bientôt, toi et moi serons auprès de ceux que nous aimons.
    Je la regardai et lui souris avec tendresse.
    – Aimes-tu Henri, Aliénor ?
    Ses yeux pétillèrent de malice. Elle éclata d’un rire frais comme une cascade :
    – Si je l’aime ? Oui. Oui, je l’aime. Mais ne me demande pas pourquoi. Pas davantage que je ne pourrais te dire comment il se fait que chaque troubadour qui passe me rappelle Bernard de Ventadour, et me crie son absence. Ne trouves-tu pas étranges ces caprices du cœur ? Peut-on adorer deux êtres aussi opposés d’un amour différent et pourtant si fort ?
    – On le peut, oui. J’en suis sûre.
    En disant cela, je pensais à ces sentiments qui m’avaient écartelée tant de fois envers elle comme envers Jaufré, sans parler de Denys dont le souvenir ne s’éteignait pas. Je faillis demander à Aliénor quelle place je tenais désormais en son cœur, mais je connaissais déjà la réponse. Elle n’avait plus besoin de moi. Je pouvais partir sans crainte. Je la laisserais entre ses deux amours. Bernard de Ventadour veillerait à ses côtés aux moments difficiles. Il y en aurait inévitablement. Son époux et elle étaient d’un même feu, d’une même fougue, d’une même énergie. Ils s’affronteraient autant qu’ils s’aimeraient. Mais grand serait leur destin. C’était écrit. Mon rôle s’achevait là. J’avais choisi. Et Jaufré avait besoin de moi.
    Un bruit de sabots interrompit le cours de mes pensées.
    – C’est mess ire Geoffroi, annonça un guetteur sur une des branches du chêne.
    Il était seul et mit pied à terre aussitôt.
    Aliénor se précipita.
    – Vous aviez raison, Loanna. Pas moins de quarante soldats se tiennent en embuscade au pont. Impossible de passer sans avoir à découdre et, par Dieu, si nous nous étions engagés sur cette voie, à l’heure qu’il est, duchesse, vous seriez ligotée et contrainte.
    – Où sont nos hommes ?
    – Ils veillent aux mouvements de ces fourbes et nous rejoindront en un point convenu, car il va de soi qu’il nous faut passer ailleurs.
    – Avez-vous pu voir qui nous réservait pareil accueil ? demandai-je, curieuse.
    – Parbleu, damoiselle, et c’est là toute la raison de ma prudence. Il ne s’agit pas moins que de Geoffroi d’Anjou !
    – Geoffroi ? Mais il n’a que seize ans !
    – Qui est ce freluquet ? s’inquiéta Aliénor, agacée.
    – Le propre frère d’Henri. Je m’étonnais aussi de le voir tramer autour de nous lorsque Henri traça notre parcours à Angers. Personne ne prêtait attention à lui, cela lui a fait la part belle ! Il est vrai qu’Henri ne lui laisse qu’une part infime de l’héritage paternel. Ce bougre n’est point sot. Il aura vite compris qu’annexer l’Aquitaine, c’était à la fois agrandir ses terres et se venger de son frère. Te voilà un ami de plus, Aliénor. Et pour le reste, Geoffroi, vous avez raison. Si nous lui échappons ici, il aura d’autres ruses, car il est mieux informé que quiconque.
    – Je ne peux croire qu’Henri ignore ce complot, grommela Aliénor, et tenterais bien l’aventure, pour juger de son amour.
    – Je vous conseille de n’en rien faire. Il est inutile de risquer un affrontement qui
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