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Le Grand Coeur

Le Grand Coeur

Titel: Le Grand Coeur
Autoren: Jean-Christophe Rufin
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de l’un des gamins au moment où il allait
rentrer chez lui et ils l’amenèrent à l’auberge. Nicolo
nous avait rejoints. Il questionna le petit mendiant dans
le dialecte florentin.
    Le résultat de son interrogatoire était extrêmement
instructif. L’enfant ne comprenait pas tout, mais il cita
beaucoup de noms, qu’il avait entendus. Il en ressortait
que je n’étais pas menacé et suivi par des gens du roi de
France mais par des Florentins... À l’origine de tout cela
se trouvait mon cher Otto Castellani, celui-là même qui,
après m’avoir dénoncé, avait fini par prendre ma place
et s’était généreusement servi lors de la curée de mes
biens. Ainsi, je devais me garder de deux périls : la vengeance royale d’une part, avec ses moyens politiques
mais aussi, heureusement, ses limites, à mesure que l’on
s’éloignait de France, et, d’autre part, la vindicte personnelle de Castellani et de ses acolytes. En me réfugiant à
Florence, j’avais choisi le terrain idéal pour eux. Castellani et son frère avaient toujours conservé de nombreux
liens avec la ville dont ils étaient originaires. Je m’étais
en quelque sorte précipité dans la gueule du loup.
    À mon grand regret et au désespoir de Nicolo, il me
fallut rapidement quitter la ville et chercher un abri plus
sûr. Le seul endroit où je pouvais espérer trouver la
sécurité était Rome. La protection du pape était, en
principe, la garantie suprême, quoique pour un gredin
comme Castellani, rien ne fût absolument sacré, dès
qu’il s’agissait d’argent et de vengeance. Tout de même,
il lui serait plus difficile d’agir dans cette ville qu’il ne
connaissait pas et où je n’aurais pas de scrupule, cette
fois, à circuler sous haute protection.
    *
    Nous nous remîmes en route. Cette errance ne me
déplaisait pas, à moi qui avais eu si longtemps quatre
murs pour tout horizon. La chaleur augmentait avec
l’approche de l’été et notre avancée vers le sud. J’avais
pris soin d’envoyer deux hommes de l’escorte porter à
Rome la nouvelle de mon arrivée. À mesure que nous
approchions de la ville, nous trouvions des étapes préparées pour nous dans des monastères ou des villas
luxueuses. Enfin, nous atteignîmes les rives du Tibre.
Le pape séjournait à Sainte-Marie-Majeure pendant
les travaux du Vatican. La chute de Constantinople et
l’avancée des Turcs avaient contrarié ses plans et retardé
l’agrandissement de la basilique.
    Dès mon arrivée, je fus reçu par Nicolas V qui m’attendait avec une grande impatience. À vrai dire, il craignait de ne pas survivre jusqu’à l’heure de mon retour.
La maladie qui le rongeait était déjà fort avancée. Je le
reconnus à peine. Il avait beaucoup maigri. Comme
toutes les personnes qui ont traversé la vie en conservant égal un léger embonpoint, ces rondeurs faisaient
partie de lui et leur absence soudaine donnait l’impression de se trouver en face de quelqu’un d’autre. Il marchait difficilement, aidé d’une canne en buis très simple
qui formait contraste avec l’apparat de ses appartements. Mais c’est au moral surtout que sa faiblesse apparaissait.
    Ce lettré, cet homme de culture et de cabinet n’était
pas fait pour affronter les grandes épreuves que son
pontificat lui avait réservées. Le paradoxe était qu’ilavait pleinement réussi : il était sans rivaux, après la fin
du schisme en Occident et la chute de la deuxième
Rome orientale. Cependant cette unité, à laquelle
d’autres avant lui avaient vainement rêvé, venait trop
tard. Il avait usé ses forces à l’obtenir. Il me parla longtemps de la situation du monde et des idées qu’il aurait
aimé défendre, s’il en avait eu encore le temps et les
moyens. Sa vision fondamentale n’avait pas changé : il
fallait consolider cette papauté réunifiée, la doter d’un
centre à sa mesure, en poursuivant le grand chantier
du Vatican. Après la chute de Constantinople, il avait
prêché la paix entre les princes d’Occident et leur union
face au danger. Mais il n’avait pas été écouté et les rivalités continuaient.
    Le résultat était que le pontife de Rome était désormais seul face à la poussée des mahométans et qu’après
avoir tout gagné, il risquait maintenant de tout perdre.
Voilà pourquoi, prenant en compte la tiédeur des
monarques d’Europe, Nicolas V pensait qu’il fallait
renoncer pour le moment à toute idée de croisade. Il
sentait hélas que
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