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Le Grand Coeur

Le Grand Coeur

Titel: Le Grand Coeur
Autoren: Jean-Christophe Rufin
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un de ces dieux
grecs qui paraissent au monde dans la force de l’âge
adulte, riches d’une longue expérience et heureux de
partager les plaisirs des humains, dont ils n’ignorent
rien. Deux jours de chevauchée plus tard, nous étions à
Aix, chez le roi René.
    *
    Je restai à Aix moins d’une semaine mais elle me parut
en valoir quatre. Je retrouvai tous mes amis, Jean,
Guillaume, les patrons de galées, mes facteurs dont
plusieurs venaient du royaume de France et s’étaient
réfugiés en Provence pour se mettre hors d’atteinte des
poursuites.
    J’appris d’eux tout ce qui s’était passé dans le monde
pendant ces presque trois années d’obscurité, dans
le secret des prisons. Certaines nouvelles, dont j’avais
perçu le lointain écho, eurent un relief nouveau dansleur bouche. Ils me parlèrent ainsi de la prise de Constantinople par les Turcs et m’en décrivirent les immenses
conséquences : l’exode des artistes et des savants, le
rapprochement encore plus étroit avec le sultan
d’Égypte qui voyait avec terreur les Turcs accroître leur
puissance. Ils me confirmèrent la paix définitive avec les
Anglais. C’était décidément un nouveau monde qui
naissait. Ils continuaient d’en exploiter toutes les possibilités. Ils me racontèrent qu’ils avaient soustrait le plus
d’actifs possible à l’inventaire de Dauvet. Comme je le
pressentais, celui-ci ne coupait que des branches mortes.
Mais la plante restait vivante et poussait dans d’autres
directions. Guillaume avait placé les galées sous d’autres
pavillons que celui du roi de France : Provence, Aragon,
Gênes. Les bateaux continuaient ainsi leurs incessants
voyages. Il avait mis une grande partie de mes biens sous
d’autres noms, avait fait disparaître des fonds par le biais
d’opérations bancaires. Dauvet pouvait bien mettre la
main sur mes maisons et mes châteaux, ce n’était pas la
part active de nos affaires.
    J’appris même une nouvelle qui non seulement me
rassura, mais me rendit un peu d’optimisme. Le roi, en
secret de son procureur, avait autorisé certaines transactions menées en son royaume par Guillaume pour le
compte de notre entreprise. Autrement dit, il semblait
avoir compris que, par-delà la vengeance, la cupidité des
grands barons et le désir de s’approprier ma fortune,
son intérêt était de nous laisser poursuivre nos affaires.
Ainsi, sans m’avoir pardonné, il montrait qu’il comptait
préserver notre activité et la laisser vivre.
    Si tous ou presque, dans son entourage, en étaient
encore restés à l’époque chevaleresque, lui, au moins,avec plus de clairvoyance, comprenait qu’il ne pouvait
plus régner sur un ordre figé ; il ne tirerait désormais sa
puissance que du mouvement, de l’échange, d’une activité qu’il ne pouvait entièrement contrôler, sauf à la
tuer. J’en ressentis une certaine satisfaction et même, je
l’avoue, un peu d’orgueil.
    Jean et Guillaume étaient également restés en relation avec ma famille. Ils savaient peu de choses sur la
mort de Macé, car elle avait, comme je l’ai dit, terminé
sa vie à l’écart du monde. Mais ils avaient de bonnes
nouvelles de mes enfants. Mon fils Jean, dans sa position
archiépiscopale, était intouchable et il protégeait ses
frères et sœurs. Seul mon dernier fils, Ravand, avait traversé des moments difficiles. Il était allé supplier Dauvet
qui lui avait refusé tout secours. Je regrettais qu’il se fût
abaissé à cette démarche aussi inutile qu’humiliante.
Depuis, il avait reçu de l’aide de mes amis établis en Provence et vivait bien.
    Ce qui me toucha le plus fut de voir que Jean autant
que Guillaume et tous les autres avaient fait vivre notre
maison de commerce sans penser jamais à se l’approprier. Ils considéraient qu’elle était à moi et me firent
très honnêtement, et dans le détail, le compte de la fortune dont je pouvais disposer. En réalité, il y avait là aussi
un motif d’optimisme : ils connaissaient trop nos affaires
pour croire qu’elles appartenaient à quiconque. Elles
vivaient de tous et pour tous. Ils me reconnaissaient un
rôle particulier mais qui complétait le leur.
    En tout cas, malgré les actions prédatrices des gens
de la cour et les inventaires tatillons de Dauvet, je fus
heureux de constater que notre toile était toujours
solide et nos moyens considérables. Stimulé par lesmœurs d’esthète du roi René, je pris un vif plaisir à me
faire
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