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Le Grand Coeur

Le Grand Coeur

Titel: Le Grand Coeur
Autoren: Jean-Christophe Rufin
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cachés sous
des toiles, comme un simple chargement de marchandises. Heureusement, aucun soldat ne se montra quandils accostèrent dans une anse, un peu au nord de la ville.
Ils laissèrent la barque en garde à deux hommes et tous
les autres, derrière Jean, partirent à vive allure vers les
remparts. Ils se dirigèrent vers la brèche qu’avait indiquée
Hugo. Ils la découvrirent assez aisément, car une forte
pluie était tombée la veille au soir et un ruissellement
sourdait sous la muraille. Ils avaient apporté des pics et
des pelles pour élargir le pertuis, et mis à part une grosse
pierre qu’ils eurent du mal à desceller, le reste du trou fut
assez facile à agrandir. Ils l’étayèrent sommairement avec
une planche et quatre pieux. L’issue dégagée, ils troquèrent les pioches contre des épées et passèrent l’un
après l’autre dans la courte galerie.
    La nuit était bien avancée. La cloche aigrelette de la
chapelle sonna matines. Je sortis du dortoir serré de
près par les frères en qui je pouvais avoir confiance, en
particulier Hugo. Les deux faux moines arrivèrent légèrement en retard et je me demandai si ce n’était pas
parce qu’ils avaient tenté quelque chose contre moi
dans ma cellule.
    La lumière des bougies faisait briller les dorures de
l’autel. Les moines se tenaient en cercle, à la lisière de
la pénombre, et ceux des derniers rangs s’en détachaient à peine. Un frère se leva, alla jusqu’au lutrin et
entonna le psaume « Seigneur, j’arrive à toi ». Les mâles
voix reprirent l’antienne et le chant, supposé vibrer d’allégresse, rebondit mollement dans l’air humide. Qui
aurait pu se douter que la douce harmonie de cette
oraison ensommeillée cachait d’affreux desseins, couvrait des passions meurtrières et, loin de transfigurer les
hommes qui prétendaient s’inspirer de Dieu, servait de
paravent au crime et à la vengeance ?
    Soudain, comme si le Seigneur que nous appelions si
plaintivement avait décidé de paraître devant nous, les
deux battants du portail de la chapelle s’ouvrirent. Une
quinzaine d’hommes brandissant des épées s’avança
dans la nef. La flamme des bougies vacilla mais tout aussitôt, tirant du feu d’une lanterne, les intrus allumèrent
deux torches. Les moines reculèrent et crièrent avec
plus de conviction qu’ils n’en avaient mis à ânonner les
psaumes.
    Dans la lueur rouge des flammes, un homme s’avança
et m’appela. Je reconnus Jean de Villages. Je fis deux pas
vers lui et allai lui donner l’accolade quand je vis bondir une ombre et sentis un choc à l’épaule. Un des faux
moines, me voyant sur le point d’être délivré, s’était jeté
sur moi avec un poignard. Heureusement, le frère Hugo
avait eu la présence d’esprit de se mettre en travers de
son chemin, si bien que le sicaire manqua sa cible. La
pointe de son arme déchira mon habit et m’écorcha la
peau. Jean et ses hommes, surpris par l’attaque, retrouvèrent vite leurs esprits et sautèrent sur l’assassin qui
cherchait à s’enfuir. Son acolyte, qui l’avait rejoint, fut
rattrapé en même temps. S’ensuivit une courte mêlée
au cours de laquelle les deux hommes furent tués.
    Les moines, qu’ils fussent leurs complices ou non,
regardèrent la scène avec épouvante. Jean leva son épée
et s’adressa à eux d’une voix forte. Il leur annonça que
deux de ses hommes allaient rester devant le couvent
tandis que nous nous éloignerions et que s’ils tentaient
de donner l’alerte, il n’y aurait aucune pitié à attendre.
    Nous partîmes dans une bousculade. J’étais gêné pour
courir par ma robe de bure. Heureusement, les ruelles
de la ville étaient sombres et désertes et il n’y avait pasune longue distance à franchir avant de rejoindre le
trou sous les murailles.
    Nous gagnâmes la barque, essoufflés et exaltés, frissonnant dans le vent froid et chargé de l’humidité du
fleuve. Pendant la traversée, Jean me prit les mains et je
lui donnai en pleurant une longue embrassade. Des
chevaux nous attendaient en face. Guillaume, qui avait
tout prévu, avait fait mettre des vêtements de voyage à
ma disposition. Je me changeai et montai en selle. Le
soleil avait paru dans le ciel sans nuages. Une route
toute droite et bien pavée fendait en deux une mer
d’oliviers vert pâle. J’avais l’indicible sentiment de naître
une nouvelle fois, mais non pas comme un nourrisson,
ignorant et vulnérable, plutôt comme
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