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Le Grand Coeur

Le Grand Coeur

Titel: Le Grand Coeur
Autoren: Jean-Christophe Rufin
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la plupart des cardinaux, surtout ceux
venant de l’Europe de l’Est et qui se trouvaient sous la
menace directe des Turcs, poussaient à l’affrontement.
    Le pape m’entretint de ces sujets dès notre première
rencontre, avant même de s’enquérir de mes projets ou
de m’interroger sur ce qui m’était arrivé en France.
Comme tous les hommes que talonne la mort, il était
entièrement habité par l’idée de sa fin et poursuivait
avec tous ses interlocuteurs le monologue angoissé qu’il
tenait pour lui-même face au néant. J’eus plus que
jamais la conviction qu’il ne croyait ni en Dieu ni surtout, dans la circonstance présente, en la vie éternelle.
    Nous nous vîmes chaque jour et très longuement. Il
se faisait conduire dans les jardins du Vatican d’où il
pouvait voir le chantier de la basilique. Il me montra les
vestiges du cirque de Néron, où Pierre avait été martyrisé. Cette présence du passé autour de lui semblait être
son seul réconfort, comme si l’au-delà vers lequel il
s’acheminait eût été constitué par ces pierres qui conservaient la trace des hommes disparus et que des pins vert
cru protégeaient de leur ombre fraîche.
    Rome, comme je l’avais espéré, était un refuge beaucoup plus sûr pour moi. Nicolas V me permit de m’installer dans une aile du palais de Latran. Il avait été
déserté pendant l’exil des papes en Avignon et méritait
une complète restauration. Je fis réparer, peindre et
meubler les pièces où je m’installais. Bonaventure mit
en place une garde permanente, y compris pendant nos
déplacements, et comme je me tenais la plupart du
temps auprès du pape, je bénéficiais également de sa
protection. Quelques indices nous laissèrent penser que
des espions de Castellani nous observaient toujours mais
jamais il n’y eut la moindre alerte.
    L’état de santé du pape déclina très rapidement. Son
médecin me confia qu’il perdait beaucoup de sang pendant la nuit. Formant contraste avec ses membres
décharnés, on voyait sous sa chasuble son ventre grossir.
Il y portait souvent les mains, avec une grimace de souffrance. En ces moments ultimes, il m’avoua qu’il trouvait plus de consolation dans Sénèque que dans les
Évangiles. C’est un homme simple, dépouillé de tout
faste, infiniment vulnérable et solitaire qui rendit l’âme
le 24 mars à la pointe de l’aube, sans un cri.
    Sa fin était attendue, pour ne pas dire espérée, par leconcile. Les cardinaux assemblés ne tardèrent pas à lui
désigner un successeur sur le nom duquel ils s’étaient
probablement accordés depuis longtemps. Il s’agissait
d’Alonso Borgia, évêque de Valence, qui choisit le nom
de Calixte III.
    Nicolas V m’avait présenté à lui quelques jours avant
sa mort. C’était un homme de soixante-dix-sept ans,
énergique et infatigable. La culture antique de Nicolas
lui faisait tout à fait défaut. À la différence de son prédécesseur, il était animé d’une foi naturelle et sincère qui
ne laissait aucune place au doute et rendait inutile, voire
suspecte, toute culture qui ne fût pas conçue sous la
dictée de Dieu et du Christ. À la perfection de la vraie
foi, il opposait le monde païen, lequel était constitué
pour lui aussi bien des sauvages allant nus que des philosophes d’Athènes sous Périclès. Il était, lui, tout à fait
acquis à l’idée de croisade et n’eut de cesse de réussir, là
où son prédécesseur avait renoncé.
    Ce que Nicolas V avait appelé jadis de ses vœux sous le
nom de croisade, c’était surtout la concorde de tous les
rois et potentats de l’Europe, pour faire face à la menace
turque. Ce but était infiniment difficile à atteindre, car
aucun de ces puissants n’était disposé, quelque propos
qu’il tînt publiquement, à réduire ses ambitions et à
renoncer à ses vengeances.
    Calixte III demandait beaucoup moins : il laissait les
princes à leurs querelles pourvu qu’ils consentissent à
lui fournir quelques moyens pour armer une flotte qui
partirait vers l’Asie Mineure. Ce qu’il voulait était assez
simple et facile à obtenir : des oriflammes et des galères,
des chevaliers en grand arroi et des troupes en nombre
finalement réduit, puisqu’il fallait les embarquer. Il setrouvait dans les royaumes et principautés suffisamment
d’écorcheurs en mal de rapine, de nobliaux sans cervelle qui dissimulaient leurs chevaux étiques sous des
carapaces brodées héritées de leurs
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