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Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale
Autoren: Jean-François Parot
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tournaient en tout sens, on s’interrogeait d’un air incrédule. L’incendie gagnait et déjà le feu d’artifice s’éteignait avec les soubresauts d’un organisme à l’agonie. Nicolas penché sur la balustrade scrutait la place. Son ami fut effrayé de l’angoisse qui marquait son visage.
    — On ne donne aucun secours au feu, dit-il.
    — Je crains que le peuple n’en vienne à penser qu’il s’agit d’un nouveau genre de spectacle qui offre un assez joli coup d’œil et que cette surprise manquée fait partie de la fête.
    Brutalement, tout parut entrer en mouvement, comme si un génie pervers avait semé des ferments de désordre dans l’assistance. Au bruit des détonations et aux craquements des éléments du décor qui s’effondraient, s’ajoutaient désormais des cris d’angoisse et des appels au secours.
    — Voyez, Guillaume, dit Nicolas, les voitures à pompe arrivent. Les percherons sont affolés par le bruit et s’emballent !
    Plusieurs voitures, tirées par de lourds chevaux lancés au grand galop, venaient en effet d’apparaître, surgissant des deux voies parallèles à la rue Royale — la rue de l’Orangerie du côté des Tuileries, et celle de la Bonne Morue du côté des Champs-Élysées. Elles renversaient tout sur leur passage. Ce qui suivit demeurerait à jamais dans la mémoire de Nicolas ; il revivrait souvent les étapes de ce drame. Le spectacle lui rappelait un tableau ancien, naguère admiré dans les collections du roi à Versailles, et représentant un champ de bataille où s’agitaient des milliers de personnages, chacun avec le détail de son visage, de sa vêture, de son armement, de ses actions et de ses expressions. Il avait observé qu’en isolant un petit espace de cette action il était possible de juxtaposer des centaines de petits tableaux tous parfaits dans leur réduction. Depuis la terrasse de l’hôtel des Ambassadeurs extraordinaires, aucun épisode du drame ne lui échappait. La situation évoluait à chaque minute. Des groupes de spectateurs, bousculés par les attelages, s’étaient portés en arrière. Certains étaient tombés dans les tranchées non encore comblées. Nicolas se souvint que le déblaiement définitif du chantier ne datait que du 13 avril de la même année, sans que pour autant le terrain ait été totalement apprêté. Semacgus lui désigna un autre endroit : les invités qui avaient assisté au spectacle commençaient à sortir du bâtiment et leurs voitures, jusqu’alors rangées en désordre sur le quai des Tuileries, affluaient maintenant et forçaient le passage à grands coups de fouet. Pris entre les pompes et les carrosses, de nombreux spectateurs trébuchaient et tombaient dans les fossés. Ils aperçurent aussi des figures louches, l’épée à la main, qui attaquaient les bourgeois affolés et les dépouillaient.
    — Regardez Nicolas, les filous sont sortis des faubourgs.
    — Ce qui me paraît plus grave, pour l’instant, c’est que le quai des Tuileries ne peut être rejoint et que le pont du Corps de Garde, donnant sur le jardin des Tuileries, est fermé. La seule issue est la rue Royale. Tout est réuni pour une confrontation générale.
    — Mais voyez ce grand mouvement de peuple vers les quais ! Les gens s’écrasent et tentent de se réfugier le long du fleuve. Mon Dieu, je viens d’en voir au moins une douzaine qui sont tombés ! Le filet de Saint-Cloud 8 sera plein demain, et la basse-geôle comble.
    La panique devint générale. Il y eut un mouvement affolé de reflux. Une partie de la foule, sur le pourtour de la place, ne semblait pas mesurer la gravité de la situation ; elle avançait calmement, inexorablement, vers la rue Royale afin de passer d’un plaisir à un autre et gagner par cette voie les boulevards pour y admirer les illuminations et les attractions de la foire. Cependant, ceux qui n’avaient pu sortir de la nasse que constituait la place, convergeaient depuis le centre vers la même artère sans se préoccuper du piège qui se refermait. Des voitures obstruaient le passage. Des hurlements parvinrent jusqu’à Nicolas, mais la rumeur de plusieurs dizaines de milliers de spectateurs couvrait ces signes avant-coureurs du désastre.
    Ce que découvrit Nicolas à l’angle du bâtiment, quand il se pencha à nouveau pour regarder la rue Royale, dépassait toutes ses craintes. Il cria à Semacgus, qui n’osait s’approcher du vide :
    — Si rien ne vient arrêter
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