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Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale
Autoren: Jean-François Parot
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Semacgus, un faux mouvement et la chute est assurée. Les jambes me tremblent, de vous voir.
    Il lui tendit une main que Nicolas saisit avant de sauter avec légèreté au-dessus des colonnettes.
    — Quand j’étais enfant, je jouais à me faire peur sur la falaise ocre de Pénestin ; c’était bien autrement périlleux, avec le vent.
    — Ces Bretons m’étonneront toujours.
    Ils se turent à nouveau, repris par la grandeur du spectacle qui, avec la montée de la nuit, se concentrait sur la place Louis XV.
    — Avez-vous admiré les carrosses de la Dauphine ? Tout Paris en parle. On dit qu’ils font honneur au goût de M. de Choiseul qui les a commandés et a suivi de fort près leur fabrication.
    — Je les ai vus. Une splendeur un peu accrocheuse à mon goût, mais le présent vaut le futur 7 .
    — Oh ! oh ! dit Semacgus, je répéterai ce mot.
    — Ce sont des berlines à quatre places, l’une revêtue de velours ras cramoisi avec les quatre saisons brodées en or. L’autre en velours bleu avec les quatre éléments en or. Le fin et le recherché sont extraordinaires. Le couronnement et l’impérial sont surmontés de fleurs en or de diverses couleurs, qui s’agitent au moindre mouvement.
    — Cela a dû coûter bon prix ?
    — Vous connaissez la réponse du contrôleur au roi qui s’inquiétait de savoir comment seraient les fêtes.
    — Point du tout. Qu’a répondu l’abbé Terray ?
    — « Impayables, Sire. »
    Ils en riaient encore quand une sourde détonation annonça le début du spectacle. Un long cri d’allégresse monta jusqu’à eux. La statue du roi s’illumina au centre de la place environnée de girandoles, alors que de nouvelles explosions déclenchaient un grand envol des pigeons assoupis des Tuileries et du Garde-Meuble ; pourtant, elles ne furent pas suivies des éblouissements attendus, et, l’échec se répétant, la foule passait peu à peu de la joie de l’admiration au murmure de la déception. À nouveau, quelques fusées s’élevèrent sans exploser ; elles traçaient des trajectoires incertaines et retombaient ou se dissipaient en claquements secs. Il y eut un moment de silence d’où jaillirent, étrangement nets, des ordres et des cris provenant des artificiers de Ruggieri ; ils furent aussitôt couverts par le sifflement aigu d’une fusée qui avorta elle aussi. Cet essai malheureux fut oublié quand un éventail en queue de paon tout constellé d’or et d’argent s’ouvrit sur l’immense assemblée et parut redonner un souffle au spectacle. La foule applaudit à tout rompre. Semacgus bougonnait ; Nicolas le savait bon public, comme tant de vieux Parisiens, mais aussi prompt à la critique.
    — Tirs bien mal ajustés, aucun rythme, exécution sans progression. Y aurait-il une musique, tout était à contretemps. Le peuple murmure et il a raison. On ne le peut tromper avec du faux-semblant, il se sent floué.
    — Pourtant, La Gazette de France de lundi dernier annonçait que Ruggieri avait préparé son coup de longue main et que son ordonnancement faisait l’admiration des connaisseurs qui le comparaient à son avantage à celui de Torré, son rival, à Versailles.
    Les tirs se poursuivaient, alternant succès, faux départs et longs feux. Une fusée s’éleva suivie d’un panache de lumière ; elle sembla s’arrêter, puis bascula et piqua du nez pour exploser sur le bastion des artificiers. D’abord, il ne se passa rien, puis des volutes de fumée noire montèrent, suivies aussitôt par le jaillissement des flammes. La foule qui entourait le monument eut un premier mouvement de recul qui, telle une onde, se communiqua alentour. Il y eut alors une série de détonations crescendo, le bastion parut s’entrouvrir pour laisser la place à une éruption de feux volants.
    — La réserve et le bouquet ont pris feu prématurément, constata Semacgus.
    La place Louis XV plongée dans une lumière froide et blanche s’éclaira comme en plein jour. La Seine se transforma en un miroir glacé qui reflétait ce flot lumineux retombant en pluie d’argent. Surprise par ce déchaînement, la foule, animée de mouvements contradictoires, considérait, sans démêler ses propres sentiments, le feu qui enflammait le Temple de l’Hymen et érigeait un immense brasier d’où partaient encore quelques fusées lasses. De longues minutes s’écoulèrent dans cette contemplation. L’incertitude du public était sensible : les têtes se
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