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Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale
Autoren: Jean-François Parot
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le mouvement, nous courons à la catastrophe. Plus rien ne circule. Tout ce qui veut quitter la place s’engage dans la rue ; jusqu’au marché Daguesseau, elle est noire de monde. La foule des boulevards veut rejoindre la place.
    Au même instant, un long concert de hurlements et d’appels se fit entendre. Horrifié, Nicolas observa les deux mouvements contraires qui s’amplifiaient et accéléraient comme deux lames de fond opposées. Les passants qui se trouvaient pressés au milieu de la chaussée ne pouvaient ni avancer ni reculer, la rue s’étrécissant à cause d’un ressaut dû à des maisons non encore démolies ; ce réduit formait entonnoir. Des pierres de taille gisant sur le sol aggravaient le désordre et compliquaient le passage déjà difficile à cause de tranchées non fermées. Il vit des corps y glisser, immédiatement recouverts par d’autres couches humaines. Il distinguait, à la lumière des lanternes, les bouches ouvertes qui criaient leur terreur. Hommes, femmes, enfants, écrasés, pressés et bousculés, trébuchaient et tombaient, aussitôt piétinés par ceux qui les suivaient. À certains, compressés debout, le sang jaillissait des narines. Les tranchées furent bientôt aussi combles, que des fosses communes. Comme un Moloch, le piège de la rue Royale dévorait les Parisiens. Au centre de la place, la statue du roi semblait naviguer sur un champ de lave ; seuls vestiges du naufrage de la fête, des braises rougeoyaient encore.
    — Il faut porter secours à ces gens, dit Nicolas.
    Suivi par Semacgus, il se précipita jusqu’à la petite porte qui conduisait aux combles. Elle résista à leurs efforts. Ils durent se rendre à l’évidence : elle était fermée de l’intérieur.
    — Qu’allons-nous faire ? demanda Semacgus. Il est notoire que vous escaladez les murailles comme un chat, mais ne comptez pas sur moi pour vous suivre.
    — Rassurez-vous, je ne crois pas la descente possible par la façade sans filins. Mais j’ai d’autres cordes à mon arc.
    Il fouilla dans sa poche et en tira un petit instrument pourvu de plusieurs lames. Il en introduisit une dans la serrure et tenta de faire jouer le pêne, mais elle se coinça contre un obstacle. Il donna un coup de pied rageur contre le chambranle de la porte, puis réfléchit un court instant.
    — Puisqu’il en est ainsi, je jouerai les cheminées, il n’y a pas d’autre issue. Mais là aussi, il faut des cordes. Enfin, regardons toujours.
    Ils regagnèrent la terrasse et Nicolas, après avoir gravi une échelle de fonte, se retrouva au faîte d’un de ces monuments de pierre. Il battit le briquet et, avec une feuille de son carnet, constitua une petite torche qu’il lâcha dans le vide. Le conduit descendait verticalement et semblait épouser ensuite une bande presque horizontale.
    — Il y a des crampons dans la pierre, je vais descendre. Au pire, si je ne passe pas, je remonterai. Guillaume, vous demeurez ici.
    — Que pourrais-je faire d’autre ? Mon embonpoint ne m’autorise pas à descendre.
    La rumeur montant de la place était de plus en plus hachée de cris et de plaintes. Nicolas se dévêtit, en hâte et enleva ses souliers.
    — Je ne veux pas m’accrocher. Gardez mon fourniment. Cela me ronge de me sentir impuissant avec ce qui se passe en bas…
    Avant de le remettre à Semacgus, il retira de la poche de son habit, au grand amusement du chirurgien, toujours étonné de ce qu’il pouvait en sortir, un petit morceau de bougie qu’il plaça entre ses dents. La descente fut aisée, facilitée par les crampons destinés au travail des ramoneurs. Nicolas songeait avec angoisse à la suite ; il n’était plus un enfant, mais un homme fait ayant dépassé la trentaine. La cuisine de Catherine et de Marion et les repas dans les estaminets avec son adjoint Bourdeau, amateur comme lui de franches lippées, avaient laissé des traces. Il toucha le fond. Deux conduits se présentaient à lui, l’ouverture de l’un étant dissimulée dans l’entrée de l’autre. Il choisit d’emprunter le moins incliné, jugeant qu’il devait rejoindre des foyers situés à des niveaux supérieurs. Ne pouvant la garder à la main, il alluma la bougie et la fixa entre un crampon et la paroi. Il allait devoir s’enfoncer à l’aveuglette dans une obscurité croissante.
    Le risque de se trouver coincé dans ce boyau le rendait malade d’appréhension. Il songea soudain que les plis de sa chemise
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