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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi
Autoren: Pierre Moustiers
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Saint-Benoît et à l’incapacité qui a suivi, mais il n’en est pas certain. Alors, il se jette à l’eau :
    — C’est probable, Sire.
    — Probable ou certain ?
    — Je n’ai pas vu le duc d’Orléans depuis six mois.
    — Tâche de savoir, sinon je m’adresserai à d’autres.
    — Oui, Sire.
    — Que penses-tu de lui ?
    — Vous parlez, Sire, de Louis d’Orléans ?
    — Le petit duc, oui. Que penses-tu de lui ?
    — C’est un jeune homme.
    Louis XI n’en demande pas davantage. On comprend que la réponse de Commynes vaut une définition qui lui plaît.
    — Philippe ? ajoute-t-il sur un ton qui se veut sérieux.
    — Oui, Sire.
    — Tu me regardes comme si tu ne m’avais jamais vu. Je suis toujours le roi de France. Il n’y a pas de quoi rire.
    — Je ne ris pas, Sire.
    — Non, mais tu souris. Après tout, c’est ton droit.
    — Oui, c’est mon droit, Sire.

3
    Cela fait deux semaines déjà que Louis d’Orléans est informé de l’accident qui a frappé le roi de France, mais apparemment cette nouvelle capitale ne l’a pas bouleversé.
    À dix-neuf ans, celui que Commynes définit comme « un jeune homme » et que Louis XI nomme « le petit duc » est un prince heureux. N’étant pas appelé à régner, du moins tant que le dauphin Charles demeure en vie, il jouit d’une liberté sans conditions. Aucun calcul, aucune charge, aucun souci de pouvoir, aucune guerre d’intérêts, aucune lutte de prestige ne freinent son appétit de vivre. Il s’abandonne aux exigences chaleureuses de son corps, à tous ces mouvements qui lui apportent du plaisir : à cheval, d’abord, quand il serre à deux genoux les flancs de Pluton, son alezan truité, au lit, ensuite, lorsqu’il se démène avec une dame d’atour de sa mère, de préférence la plus jeune et la moins innocente, enfin, carré dans un fauteuil, après une matinée de chasse, au moment où il allonge les jambes devant le feu et ne songe à rien de précis. Certes, il ne saurait oublier la dignité qu’impose son rang, mais au lieu de s’en revêtir comme d’une robe de brocart qui vous gêne aux entournures, il se contente d’y penser de manière aussi naturelle qu’on respire, soit en veillant sur son équipage et sur la tenue de ses gens, soit en rappelant à des importuns ou des présomptueux qu’à part Dieu et le roi de France, il n’y a personne au-dessus de lui. Donc, la fierté ne lui manque pas, mais il s’agit, en l’occurrence, d’un sentiment passif et quand un conseiller le provoque en parlant de son avenir, de son rôle à tenir et de ses droits à la régence, il secoue la tête en riant. « Vous n’avez donc, monsieur le Duc, aucune ambition ! » lui a reproché, il y a deux jours, le vieux François de Brilhac, évêque d’Orléans. « Vous auriez tort de le croire, Monseigneur, car ce que j’en fais, cela me regarde », a-t-il répliqué du tac au tac. En fait, il met son ambition de côté, comme on dépose en réserve une force un peu lourde, un capital embarrassant. Il sait qu’elle sommeille en lui, mais il n’attend pas son réveil et se dispense fort bien de ses services : « Elle pèserait sur mes gestes, sur ma démarche, sur mes élans et me ferait tomber. » Quand il observe de loin tous ces hommes sérieux, tendus vers le pouvoir, lèvres sèches et sourcils froncés, il lui arrive de se dire qu’elle est « le passe-temps des vieux ». Et puis, sans mettre en doute les informations de ses amis et de sa maison, il ne croit guère à l’agonie de Louis XI. Se tenir à l’écart des affaires donne parfois un sixième sens, une intuition de femme ou d’enfant. Le petit duc pressent des vérités relatives ou des évidences prosaïques qui échappent aux professionnels de la politique. Il imagine, par exemple, une ruse du vieux renard : « La maladie lui sert de tisane pour nous endormir et nous faire avaler des couleuvres. » Aussi, hier, s’est-il félicité d’avoir eu du flair et de l’esprit lorsqu’il a appris que le roi était « presque guéri », qu’il avait regagné son château du Plessis, son aire, sa toile d’araignée.
     
    Tous les médecins le savent : c’est une dure épreuve que la compagnie d’un malade « presque guéri ». L’inquiétude exaspère sa méfiance et le dote, à l’encontre de son
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