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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi
Autoren: Pierre Moustiers
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dissimuler sa bosse, ni chasser les murmures qu’elle appréhende. Ce n’est pas la bosse qui l’humilie. À dix-sept ans, Jeanne l’accepte, la porte sur le dos comme une hotte, un fardeau décidé par Dieu. Non, c’est boiter qui lui fait honte. La fille du roi n’a pas le droit d’amuser la galerie ni de provoquer la pitié. Elle imagine à chaque pas des regards humides et des sourires doucereux. Des talons à la nuque, son corps en souffre. On dirait qu’elle marche avec une couronne sur la tête, une couronne qui danse et menace de tomber. Et puis, il y a ce pied malade qui effleure le sol, hésite à prendre appui. Elle le maudit, le pose de travers et lui pardonne : « Ce n’est pas ta faute, mais la mienne. Je n’aurais jamais dû venir au monde. »
    De méchantes langues ont raconté qu’à sa naissance, le roi étouffa un cri de rage au chevet de la reine dolente, avant de maugréer : « Si quelqu’un a motif de se plaindre, c’est moi. » Il attendait un fils, n’attendait que lui. Pour mériter pareille faveur, il avait promis à Notre-Dame de Cléry une statue d’argent qui aurait le poids du nouveau-né. Jeanne connaît ce détail et, sans amertume, sans arrière-pensée, elle se reproche d’avoir fait du tort à son père. Elle l’admire, alors qu’il la traite comme une chose, n’a jamais manifesté la moindre tendresse à son égard : « Il n’a pas le temps. Est-ce que ma personne compte devant son œuvre ? » Elle ne sait rien de son œuvre, n’a aucune idée de son travail ni des affaires qu’il entreprend. La politique est une science occulte pour elle. Alors, pourquoi admire-t-elle son père, le vénère-t-elle avec une confiance aveugle, une sincérité d’enfant ? Parce qu’il est le roi de France, bien sûr, mais encore ? Pour des raisons obscures, peut-être parce qu’il détient, selon elle, des secrets, des qualités que tout le monde ignore. Pour consentir à vivre, Jeanne a besoin de mystère. Alors, elle croit aux miracles.
    Son confesseur, le père Lafontaine, qui fut gardien des franciscains à Amboise, approuve cette dévotion filiale dont la ferveur le touche, mais dont l’innocence le gêne, parfois. Il voit en Jeanne une sainte victime portée aux sentiments sublimes comme à la cécité. Il se garde bien de lui ouvrir les yeux, mais n’en pense pas moins : « Ce mariage forcé n’a rien d’anormal puisqu’il s’agit d’une affaire d’État où, par principe et tradition, le sentiment personnel n’a pas accès. Cependant, le roi aurait pu y mettre des formes et choisir d’autres procédés. On ne condamne pas une chrétienne à la solitude, au désespoir d’être méprisée, haïe par son mari. Il y a là, semble-t-il, une dureté d’âme, une sécheresse inutile. »
    Si le bon prêtre dévoilait ainsi devant Jeanne le fond de sa pensée, elle refuserait de l’entendre. Son mariage, souvenir unique, enfermé comme une pieuvre dans sa mémoire, fait partie d’une angoisse qui lui tient à cœur et qu’aucune vérité ne saurait bannir. C’était au château de Montrichard, à la fin de l’été, sous les voûtes résonnantes de la chapelle. Le roi, parti en pèlerinage à Notre-Dame-de-Béhuard, n’assistait pas à la cérémonie. Souriante et les yeux mi-clos, la reine Charlotte jouait la comédie d’être ailleurs et de ne reconnaître personne. L’évêque d’Orléans, François de Brilhac, officiait d’une voix sonore qui faisait trembler la petite Jeanne enveloppée dans une robe de drap d’or qui mettait sa bosse en lumière. Elle avait douze ans, Louis d’Orléans, quatorze. Elle ne l’a regardé qu’une fois, au moment où il a répondu : « Oui » du bout des lèvres en baissant la tête. Elle n’a pas remarqué qu’il était beau. Un homme n’a pas besoin de ça. Il lui suffit de porter un habit de velours ciselé et un gilet cramoisi. Elle retenait son souffle et ses yeux. Il ne l’a jamais regardée, même à la sortie de la chapelle quand le cortège s’est défait et que des dames l’ont appelé : « Monseigneur », avant de s’incliner devant elle et lui donner le titre de « Duchesse ». Pendant le repas qui a duré des heures, il ne lui a pas adressé la parole. Il ne se souciait que de la nourriture et faisait, à chaque bouchée, une grimace qu’elle évitait de voir. Le
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