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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi
Autoren: Pierre Moustiers
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lendemain, ils repartaient, chacun de son côté, lui à Blois, elle à Lignières. Il s’est débarrassé d’elle comme d’un allié encombrant. Elle ne se révolte pas et parvient à sourire : « Lignières, c’est mon ermitage. J’aime ce château qui m’a vue grandir, ces murs épais qui me protègent de la solitude et du chagrin, cette campagne où je peux me promener de bonne heure, le matin, et boiter à loisir sans être épiée, ces étangs dont la tristesse fraternelle m’attire et ces arbres sérieux alignés au bord de l’Arnon. Que m’importe le bonheur, si la mélancolie me plaît. » Cette réflexion lui rappelle son père : « Lui, non plus, n’a pas le temps d’être heureux. Il a autre chose à faire. » La semaine dernière, elle s’est réjouie d’apprendre qu’il était guéri : « Au fond, cela ne m’a pas étonnée. Rien ne peut le détruire. Les gens qui vivent à ses côtés et qui doutent de sa santé ne le connaissent pas. Moi qui ne le vois jamais, je le connais. »
    Le jour se lève. À cette heure, Jeanne a besoin d’être seule. Tous les serviteurs le savent. D’habitude, elle se réfugie au donjon, à cause du dernier étage et d’une meurtrière qui permet de voir jusqu’aux rives du Cher. Aujourd’hui, elle a choisi le colombier. Les pigeons n’osent pas encore sortir de leur niche. Ils la regardent sans se montrer. Elle les attend. Tout là-haut, une plume se détache, virevolte dans l’air tiède, se rapproche d’elle, se balance maintenant à sa portée. Elle se défend de l’attraper au vol. Pourtant, elle a besoin de toucher quelque chose de doux, de le caresser. Et voilà qu’elle a mal, qu’elle serre les dents, une main sur le cœur. En cinq ans, il n’est venu à Lignières que sept fois, le temps de se faire remarquer par les espions du roi, pour repartir aussitôt. La dernière fois, il est entré dans sa chambre, a partagé son lit. Son lit seulement. Il s’est allongé à côté d’elle et ne l’a pas effleurée. Il a eu toutefois l’ignominie de lui dire en se levant : « Maintenant, c’est fait. Votre père sera content. » Elle réprime un frisson et mord jusqu’au sang sa lèvre inférieure qui lui fait horreur. Elle ordonne à sa mémoire de revenir cinq ans en arrière et de s’agenouiller dans la chapelle de Montrichard. Elle n’oubliera jamais qu’il a répondu : « Oui » et qu’on les a bénis tous les deux. Qu’il le veuille ou non, elle est son épouse devant Dieu.

4
    Louis d’Orléans connaît tous les escaliers du château de Blois, tous les couloirs, les créneaux, les recoins. Il apprécie l’élégance des pièces et leur bonne exposition au soleil. Cependant, jusqu’à hier, la plus vaste d’entre elles, la plus solennelle, ne lui convenait pas : la salle de justice, bâtie, il y a deux siècles, par le comte Thibaut. Oui, hier encore, il la jugeait démodée. Et voilà qu’elle l’impressionne aujourd’hui, que ses deux nefs austères et ses colonnes nobles lui parlent. On devrait parfois se méfier du regard des choses. Il arrive, par exemple, qu’une maison nous observe et nous donne une leçon, qu’une chambre ou qu’un meuble éveille une émotion qui modifie notre conduite et notre caractère. Cette nuit, contrairement à ses habitudes, Louis d’Orléans n’a pu tolérer la présence d’une femme dans son lit et, ce matin, après avoir congédié son chambellan et son valet, il s’est promené tout seul dans le château jusqu’à la salle de justice. Là, en arrêt devant le miroir d’acier, il a toisé son image et prononcé cette phrase pour le moins bizarre : « Il serait temps d’avoir de l’allure. »
    Alors, comme obéissant à un signal, tous les ressentiments intimes et les regrets amers l’ont assailli. Et maintenant, les faiblesses consenties, les avanies subies, les intimidations odieuses dont il fut victime violentent sa mémoire. Cette haine, qu’il portait dans son cœur et refusait de reconnaître par souci de quiétude ou par lâcheté s’impose à présent, éclate : « Cela fait cinq ans qu’il s’acharne sur ma personne et sur ma famille. Il a tout prévu, tout calculé pour me détruire, casser mon avenir et ma lignée. D’abord, ce mariage abject, contre nature. Et maintenant des menaces, des procédés de basse police. Pour
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