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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi
Autoren: Pierre Moustiers
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signe de sa part, accepte l’obscurité sans impatience, profite de ce moment neutre comme d’un sursis, d’un repos éphémère entre l’inaction du corps et de l’esprit. Hier soir, le roi lui a demandé de coucher dans sa chambre. D’abord, il n’a pas compris, car Louis s’exprimait avec difficulté. Sa bouche contractée, embarrassée par la salive, a marmonné : « chose » au lieu de « chambre ». Angelo Cato, qui sait lire sur les lèvres et sur les grimaces, a compris tout de suite. Il a félicité Commynes sans une ombre d’ironie : « C’est un grand privilège qu’il vous fait. » Un privilège dont le bénéficiaire se serait bien passé, d’abord à cause des jalousies et des rancœurs qu’un tel honneur ne manquera pas de susciter, ensuite en raison des responsabilités qu’il implique : « Désormais, je ne peux conseiller le roi, ni le suivre sans me compromettre. Comment servir un maître qui a perdu le sens ? Comment s’opposer à ceux qui ne doutent pas de sa mort ? »
    Depuis son arrivée aux Forges, il y a deux jours, Commynes juge inévitable la mort du roi de France. La rémission d’hier matin, qui a impressionné les médecins et les ministres, lui paraît un leurre : « Il a parlé à son chien, a répondu non à Coitier. Tout cela ne signifie rien. Autant s’illusionner sur un clin d’œil, sur une étincelle. Le sommeil l’a repris. Il s’est réveillé une heure plus tard. Tout le monde a cru au miracle, a failli battre des mains quand il a réclamé de la viande et du vin. Il a mordu dans une cuisse de poulet pour recracher aussitôt le morceau, a répandu le vin sur son menton et sur les draps, puis a bredouillé une phrase qui commençait par : “Combien” et que Cato n’a pas réussi à traduire. Non, inutile d’espérer, inutile de rêver. C’est la fin. »
    La fin ! Deux mots infiniment plus cruels et plus douloureux à entendre que la mort. Lorsque l’on vit neuf ans aux côtés d’un chef, que l’on travaille neuf ans sous ses ordres, que l’on partage durant neuf ans ses calculs, ses luttes, ses déconvenues et ses victoires, on lui appartient d’une certaine manière et on lui ressemble. Alors, on ne peut sans blessure se séparer de lui. Si Louis XI disparaît, ce n’est pas l’homme que Commynes regrettera, mais son intelligence et son œuvre, cette France neuve qu’il a bâtie. Avant lui, il n’y avait dans le royaume que des provinces éparpillées, séparées les unes des autres par des terres hostiles, et l’on rencontrait la même incohérence, le même désordre dans les États voisins : « Ainsi, je suis né dans les Flandres, à plus de cent lieues de mon suzerain, le duc de Bourgogne. Aujourd’hui, pour mon équilibre et ma fierté, j’habite un pays dont toutes les parties sont soudées, un domaine compact où l’on peut marcher du Roussillon à la Picardie, de Toulouse à Dijon, de Chinon à Beauvais sans être arrêté par une frontière, par un patois étranger ou par une troupe ennemie. »
    Commynes a toujours admiré chez Louis son extraordinaire capacité de présence, cette vigilance exceptionnelle qui désarmait ses adversaires, intimidait ses amis. Alors, à le voir, aujourd’hui, privé de conscience et de dignité, il éprouve une humiliation intime et souhaite une fin rapide à ce débris de roi.
    Il ferme les yeux et se pose avec anxiété une question saugrenue : « À ma place, que ferait un homme d’Église, Cato par exemple ? »
     
    À cette heure, l’aumônier ne se soucie que de marcher dans les ténèbres sans se cogner aux murs. C’est une vieille habitude qu’il a de se lever avant l’aube et d’errer dans un château sans l’aide d’une chandelle. Cette flamme qui tremble et qui danse à chaque pas le ferait trébucher. Il aime avancer sur les dalles comme une barque glisse sur l’eau. Ses sandales aux lanières de cuir ne font aucun bruit, à cause de la peau d’agneau qui recouvre les semelles. Après s’être recueilli à la chapelle, le temps d’un  Salve ,  Regina ,  il a traversé la salle des gardes, a visité sans motif deux échauguettes et gagné la cuisine où Sauveterre vient d’allumer le feu. Ce jeune serviteur paraît si discret, si modeste en sa tenue, si tranquille et si mesuré dans ses actes que sa corpulence hors du commun et sa taille
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