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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi
Autoren: Pierre Moustiers
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gouverner sa pensée, de contrôler les tremblements de sa main. Le vide occupe toujours une partie de sa tête, comprime toujours la moitié vivante de son esprit, lui interdit de former mentalement des phrases, de trouver les mots. Sans eux, on ne comprend rien, on oublie même ce que l’on fait, ce que l’on est. Il y en a un qui revient sans cesse et qui prend la place des autres, c’est le mot : chose. Louis sait, par exemple, que la « chose » lui est arrivée à la paroisse de Saint-Benoît, après le repas qui a suivi la messe. Cela fait quelques jours, déjà. Combien de jours, exactement ? Autant lui demander sa date de naissance ou celle de son couronnement. Tous les chiffres, qui, naguère, jalonnaient ses réflexions, se valent et se confondent aujourd’hui. Il doit maintenant lutter contre la « chose » de toutes ses forces, car il a des « choses » à faire. Lesquelles ? Il ne saurait le préciser, mais leur pesanteur, leur impatience l’obsèdent, lui serrent le cœur. Il hésite à tourmenter sa mémoire, à la harceler de questions. Il craint qu’elle ne s’enlise et ne s’éteigne dans ce magma où sa conscience a failli mourir. Hier, au cours de la matinée, au moment où rien ne laissait prévoir un changement quelconque, il a cru retrouver son importance et sa personne. Les yeux clos, il a deviné ces hommes silencieux et sans doute a-t-il éprouvé la satisfaction de les faire attendre, de les tenir en suspens comme des objets. Ils se pressaient autour de son lit et leur présence anxieuse augmentait selon sa volonté. Puis il a ressenti sur la main un souffle chaud. Peut-être a-t-il reconnu l’odeur de Tison. Il n’a pas voulu le caresser, seulement poser la main sur sa tête, la tenir entre les doigts comme pour s’assurer d’un bien, avec l’impression indéfinissable, absurde, d’avoir marqué un point, gagné une guerre.
    Louis referme les yeux, le temps de reposer sa mémoire et de pousser un soupir : « Seigneur, donnez-moi la force de ne pas retomber dans le néant ! » Cette prière improvisée le surprend, le trouble profondément. C’est bien la première fois, depuis le début de son mal, qu’il s’adresse à Dieu et qu’il reconnaît dans une phrase l’objet de son angoisse : perdre conscience devant les autres, devenir une dépouille avant la mort, endurer cette honte. Mais on dirait qu’aussitôt formulé, le cauchemar appartient déjà au passé. Oui, est-ce l’effet de la prière ? Louis a maintenant le sentiment d’avoir recouvré ses facultés, retrouvé ses esprits. Non, ce n’est pas un éclair comme hier matin, un feu de paille, mais une vérité perceptible, une réalité. Sous le crâne, les idées affluent, ne se mélangent pas, ne se détruisent pas, s’alignent, s’engrènent au lieu de fuir. Trop faible encore pour envisager l’avenir immédiat et pour concevoir un projet, prévoir une décision, il a seulement la prescience d’une bataille qu’il doit livrer. Et d’abord, comprendre ce qui lui est arrivé, apprendre ce qu’on lui cache. Il faudra mener l’enquête en douceur, feindre d’oublier les questions pour y revenir à l’improviste, changer constamment de sujet. Ils ont si peur de déplaire ou de commettre une faute que la moitié de la vérité leur suffit : « Et moi, c’est l’autre moitié qui m’intéresse. »
    Il sourit dans le noir en songeant à Tison qui a posé son museau sur la couverture : « Lui seul a compris que j’allais guérir, alors que les autres me voyaient mort. » Il n’a pas encore assez d’esprit et de vocabulaire pour ajouter en pensée : « À la différence des bêtes, les hommes sont toujours pressés de conclure, surtout les ambitieux », mais on peut imaginer qu’il garde cette réflexion pour plus tard. À présent, il aimerait savoir ce que Commynes a supposé quand lui-même a répondu : « Non ! » à Coitier. Il s’étonne de ne plus l’entendre respirer : « Peut-être est-il éveillé ? Si je toussais, il se lèverait, se précipiterait à mon chevet, ferait de la lumière. Non, à cette heure, je n’ai pas envie de parler. Il me faut réfléchir sans témoin et j’ai besoin de la nuit. »
     
    Éveillé depuis quelques instants, Commynes ne s’inquiète pas de savoir si Louis XI dort encore. Il se contente d’attendre un
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