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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi
Autoren: Pierre Moustiers
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phénoménale passent, pour ainsi dire, inaperçues. Sans un mot, il pose sur la table un cruchon de vin blanc et sert un verre à Cato qui le remercie du regard, reste debout et prend plaisir à l’observer. Sauveterre se baisse pour jeter une brassée de sarments dans le feu. Il attend que les flammes montent pour relever la tête et la porter comme un fleuron à deux doigts du plafond. D’un revers de main, il essuie la sueur qui perle au bord de ses cheveux d’enfant, puis s’incline devant Cato et disparaît. L’aumônier vide son verre lentement, le pose sur la table avec réflexion et fait claquer sa langue pour marquer la différence avec le vin de messe. Il s’approche de l’âtre, écoute craquer le bois qui brûle, hume le parfum de la résine calcinée et sourit en songeant au récit détaillé qu’il a donné ces jours-ci. Il reconnaît avoir un peu triché. C’est Sauveterre, à la tête de quelques archers, qui a accompagné le roi à Saint-Benoît, et non pas lui, arrivé après l’accident. Il n’a pas vu Louis XI se lever de table et tomber sans connaissance sur le plancher, entraînant dans sa chute une part des couverts. Il n’a pas vu ses yeux absents, sa bouche tordue, ni les visages effarés des témoins. Non, il n’a rien vu de tout cela, mais il l’a très bien raconté. Il a même ajouté, par souci de faire vrai, un souvenir vieux de dix ans. À Bénévent, au cours de la cérémonie du baptême, le parrain, un octogénaire, s’était écroulé sur le sol, au pied de la cuve baptismale. Un détail atroce avait frappé Cato, jeune desservant : la  percussione  qui déformait le visage du vieillard et lui ôtait toute humanité. Alors, aujourd’hui, il ne regrette pas d’avoir apprêté la vérité, de l’avoir composée : « Il faut savoir donner à un événement l’importance qu’il mérite. »
    Il quitte la cuisine à petits pas et s’engage dans un escalier étroit dont les spires lui causent le tournis. Arrivé sur le chemin de ronde, il s’arrête devant le premier créneau pour reprendre son souffle, retrouver son équilibre et surveiller la fin de la nuit, le moment où les étoiles pâlissent, où les arbres transparaissent dans l’ombre, où la pensée se détache du rêve pour y revenir aussitôt. Il se penche à la rencontre de l’odeur qui monte de l’herbe mouillée et de la terre encore noire. La fraîcheur humide de l’air lui donne un peu de fièvre. Il frissonne et s’émerveille d’une lueur qui réveille les tilleuls au bord de la Vienne et fait trembler leurs feuilles au-dessus de l’eau. Les astres, dont il connaît la sagesse et la science, lui ont appris à déchiffrer les messages fortuits de la nature. En ce moment, par exemple, la lueur lui parle, lui dit que le danger est passé et que Louis va guérir : « Ce n’était qu’une épreuve. Dieu l’a voulue. Il a choisi l’heure, le lieu et la durée. Le roi, comme chacun de nous, doit se souvenir de ses fins dernières pour se garantir du péché. C’est notre foi, notre noblesse de croire en l’éphémère des choses de la terre. »
    Désormais, le petit curé de Bénévent dont la faveur, en dix ans, n’a cessé de croître, se voue, corps et âme, au roi de France, à sa santé, à son salut, à son avenir sur lequel il greffe spontanément le sien. Il sait qu’il n’obligera pas un ingrat et sans doute rêve-t-il d’être ordonné évêque par son entremise. En attendant, il se satisfait d’être patient et se méfie des calculs qui contrarient la Providence.
    Soudain, voilà qu’il se souvient de la phrase que Louis a bredouillée et qui débutait par : « Combien ». Il a maintenant le sentiment, la certitude même, d’avoir compris. Mais oui. Il s’agit du nombre de jours. Pourquoi n’y a-t-il pas songé plus tôt ? Le roi veut savoir combien de jours son absence morale a duré : « Moi, je les ai comptés. Treize. Chiffre fatidique dont les ignorants ont peur, alors qu’il porte bonheur. À présent, Louis va s’inquiéter des affaires que certains conseillers trop zélés ont abordées ou traitées sans le consulter. À la place de Rohan, de Daillon, de Charles d’Amboise ou de l’évêque d’Albi, je ne dormirais pas tranquille. »
     
    Pour l’instant, ils dorment tous les quatre d’un sommeil calme, dans la pièce où ils ont pris
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