Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi
Autoren: Pierre Moustiers
Vom Netzwerk:
l’habitude de se réunir, sous les appartements du roi. Hier, ils ont veillé tard pour commenter en privé les événements de la journée, notamment le moment où Louis a parlé à son chien et celui, en fin de soirée, où il a demandé à Commynes de partager sa chambre. Rohan a remarqué que le privilège fait à Commynes n’était pas un caprice mais une mesure préméditée : « Il n’y a pas de hasard en politique », a-t-il ajouté tout uniment. « Sans doute, a répliqué Charles d’Amboise, mais il s’agit là d’une mesure sans conséquence ou, plus exactement, sans lendemain. » Tout le monde a compris qu’il ne croyait pas à la guérison du roi et que, selon lui, les dés étaient jetés. Son fils, l’évêque d’Albi, l’a approuvé du regard, ainsi que Daillon qui a fermé les yeux de manière ostensible. Rohan, revenant à la charge, leur a fait observer qu’en phase critique on pouvait prendre, d’une heure à l’autre, de graves décisions et Commynes n’était pas homme à rêver ni à perdre son temps. « Que pourrait-il faire ? » a murmuré sur un ton ironique l’évêque d’Albi. Agacé, Rohan a répondu : « Vous le savez aussi bien que moi. Tenir la main du roi, l’aider à signer. » Les autres l’ont dévisagé d’un air outré comme s’il venait de commettre un sacrilège. Aucun des trois, cependant, n’a osé lui demander : « Signer quoi ? »
    On peut vouloir se concerter en petit comité sans avoir pour autant l’intention de se mettre d’accord pour agir. C’est en général le cas des hommes d’État. Impatients de distraire leur anxiété ou d’apaiser leur fièvre de pouvoir, ils obéissent d’abord au besoin de parler et comptent sur les hasards de la conversation pour se faire une opinion, celle-ci dictée par les rapports de force. Finalement, il leur importe moins d’aboutir à une solution que de jauger leurs prétendus alliés, de leur soutirer des indiscrétions ou de leur arracher des arrière-pensées.
    Si les trois conseillers du roi n’ont pas demandé au quatrième des précisions sur le document à signer, c’est que la réponse tombait sous le sens. Tous les quatre se doutent bien que la mort du souverain – à laquelle il serait impie de faire allusion – n’est pas une fin. Avec elle commencent les aventures troubles et les guerres larvées de la succession. Le dauphin Charles n’a pas l’âge de régner et le duc Louis d’Orléans, le plus proche parent du roi en ligne masculine, paraît le mieux placé pour devenir régent, mais Louis XI ne l’aime guère, semble-t-il, et préfère soutenir Anne et Pierre de Beaujeu. En l’occurrence, une signature trancherait le débat.
    Seulement, voilà, Rohan, Daillon, Charles et Louis d’Amboise n’ont jamais abordé franchement la question. Aucun n’a étudié, comparé de vive voix les chances des parties en présence, alors que chacun, pressé de choisir son camp, ne se souciait que de cela. On s’est contenté de citer des noms, d’évoquer des anecdotes, d’opposer des caractères et des idées, autrement dit de jaser, de phraser par appréhension de l’essentiel.
    À présent, tous les quatre continuent à dormir, ignorant les premières lueurs du jour. Leurs lits se touchent et leurs souffles audibles s’accordent.
     
    Une surprise pareille, Commynes ne l’a jamais éprouvée. Il n’aurait jamais pu l’imaginer, non plus. C’est bien le visage du roi qu’il a devant lui, le visage d’hier, ravagé par la maladie, bouffi et flétri par endroits, ailleurs collé sur l’os ou encore crevassé, nervuré de fibrilles rouges, c’est le visage d’hier, mais, par miracle, il n’inspire aucune pitié, car l’intérieur a changé, le regard surtout qui commande, transperce comme autrefois. La bouche s’y reprend à deux fois avant de prononcer les mots, mais, alors, ils partent sur un frisson d’impatience. Pour l’instant, il n’en a prononcé qu’un, celui de Commynes quand il l’a appelé à l’aide pour se lever. Ensuite, une fois assis, il l’a repoussé de la main. Maintenant, il va parler. Il parle :
    — Nous avons du travail.
    — Oui, Sire.
    — Mon cousin est-il au courant ?
    Commynes sait que le roi n’aime pas que l’on réponde à une question par une question. Il pense que Louis fait allusion à l’accident de
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher