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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes
Autoren: Christian Bernadac
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ce qui vient de se passer est tellement effrayant ! Finalement, j’y vais. Ce que je vois par la porte ouverte du grand réfectoire me cloue immobile. Après avoir vidé les lieux, certaines prisonnières russes, polonaises sont revenues (il faut dire que leur dortoir était le plus proche) dans l’espoir de manger une soupe, puisque les bidons sont restés sur place. Et elles se battent les malheureuses, elles se volent les assiettes qui sont restées sur les tables et au moment où elles vont être obligées de lâcher prise, elles lancent les assiettes à la volée, brisent les ampoules électriques. Plusieurs luttent à même le sol. Ayant affaire à plus forte qu’elle, une Russe se sauve et me bouscule au passage, ce qui me rend ma lucidité. En courant, je récupère ma musette et retourne au dortoir glacée d’horreur par ce que je viens de voir.
    — Si étonnant que cela soit, il n’y eut pas de représailles, la soupe ne fut pas meilleure et c’est tout.
    *
    * *
    — Chaque (cxxi) jour, des prisonniers de guerre français viennent à l’usine faire des travaux d’entretien. Je ne manquais jamais de déchirer les rideaux noirs pour la défense passive puisque les prisonniers étaient chargés de les réparer… et de m’apporter les dernières nouvelles en même temps. Nouvelles que je transmettais immédiatement aux « émetteurs » de « Radio-Cabinets » – qui se chargeaient de les retransmettre aux Françaises à travers l’usine.
    C’était le 15 août 1944… Mes amis arrivent pour la réparation quotidienne. Ils semblaient radieux… Ils me glissent en passant derrière moi :
    — « Des nouvelles extraordinaires – vous confirmerons demain – mais vous pouvez déjà vous réjouir. »
    Immédiatement, je transmets la bonne nouvelle inconnue. Elle était sûrement bonne ; chez nos amis prisonniers, « Radio-Bobards » n’avait pas cours. Au début, nous les traitions de pessimistes ! Le lendemain fut long à arriver… Hélas ! quand les deux prisonniers sont arrivés près de moi, une Aufseherin était là elle aussi ! Je savais par expérience qu’elle ne partirait pas avant eux : les Allemands se méfiaient terriblement des contacts qui auraient pu se nouer entre Français et Françaises. J’avais brutalisé le rideau noir afin que la réparation fût longue… et les confidences aussi. J’avais compté sans la terrible bonne femme. Impossible de jeter un coup d’œil à mes amis grimpés et affairés sur cette grande échelle. Le travail ne pourrait durer toujours. Ils allaient repartir et je ne saurais rien ! Ils allaient passer derrière moi… disparaître sans rien me dire… En effet, ils sont restés muets. Mais ils se sont mis à siffler tous deux avec entrain l’air célèbre et réconfortant : « Tout va très bien Madame la Marquise. »
    Ouf ! j’ai pu confirmer à mes camarades que la nouvelle était vraie… qu’elle était bonne ! Mais laquelle ?
    Ce n’est que le lendemain que j’ai appris par les deux prisonniers le débarquement à Cavalaire et sur toute la côte de la Méditerranée.
    *
    * *
    — Un œuf (cxxii)  ! Nous passons en colonne. Une poule vient de pondre. Un œuf dans l’herbe. Notre gardienne le voit. Toute la colonne, tripe au ventre, défile devant ce malheureux œuf sans pouvoir y toucher.
    *
    * *
ARRÊT DE TRAVAIL DANS L’USINE
    Un jour (cxxiii) , il y eut une panne d’électricité dans l’usine ; elle dura plusieurs heures, nous étions vers la fin du mois de décembre 1944. Puis, dans la même semaine, les appareils à air comprimé s’arrêtèrent ;
    — « Nicht licht, nicht luft » (pas de lumière, pas d’air) nous dit-on.
    Puis cela se répète ; nous apprîmes quelques jours plus tard que les Russes, ayant pris Frankfurt-sur-l’Oder, l’usine ne fonctionnerait plus, car c’est de l’Oder que provenait l’énergie électrique. Depuis plusieurs mois déjà, le chauffage ne marchait plus, et trois braseros grotesques dans cette grande usine essayaient de dégager un peu de chaleur. Les Gitanes faisaient cercle autour d’eux. À voir leurs mains et leur corps sales, décharnés, retroussant les lambeaux de leur robe afin que la chaleur pénétrât plus profondément, on se serait cru à la descente d’une roulotte misérable sur le bord d’une méchante route. Elles psalmodiaient des chants, battant la mesure de leurs mains, de leurs pieds ; leur bouche ouverte laissait apercevoir des
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