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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes
Autoren: Christian Bernadac
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À partir du mois de janvier et jusqu’au mois d’avril, nous pouvons dire que nous n’avons jamais pu nous réchauffer un seul instant.
    La nourriture ne nous tenait plus au corps, nous nous traînions lamentablement le long des routes, marchant dans la boue, la neige, par une température de moins 28°, en guettant avec avidité les quelques rares pissenlits qui auraient pu pousser sur notre chemin. Alors, rapidement, sans quitter la colonne, nous nous baissions afin d’arracher cette nourriture providentielle qui nous tombait du ciel, mais, quoique aussi rapide qu’ait été notre mouvement, il produisait un décalage dans le rang derrière nous, la pelle que nous portions sur l’épaule n’était plus à l’alignement ; instantanément l’Aufseherin se précipitait sur nous et nous rouait de coups avec tout ce qui lui tombait sous la main.
    Les travaux de terrassement étaient exténuants.
    Nous avons fait des tranchées. Nous en avons même fait qui longeaient un petit bassin d’eau. Nos pieds trempaient dans l’eau glaciale qui montait plus haut que nos chevilles. Ce n’était plus de la terre que nous jetions par-dessus bord, mais de l’eau sale, de la glaise qui dégoulinait tout au long du manche de la pelle, qui giclait sur nous. C’était à pleurer de rage, de froid, de fatigue, et ce manège continua pendant des heures et des jours…
    Après les tranchées, nous fîmes des abris pour protéger les avions des bombardements. Ces abris devaient être recouverts d’arbres afin de les camoufler. Nous nous attaquâmes alors à un petit bois dont nous abattions les arbres que nous transportions jusqu’à ces nouveaux abris. Les filles russes internées avec nous, étaient de constitution beaucoup plus robuste que la nôtre et étaient, pour la plupart, habituées aux travaux de la ferme ; bien que sous-alimentées, elles restaient très fortes, elles soulevaient un pin à cinq ou six et le transportaient facilement. On les sentait heureuses de ce nouveau métier qui nous réussissait si mal. Nous n’étions pas habituées à abattre des arbres, à creuser des tranchées et, au bout de huit semaines de travail, nous avions atteint la limite de nos forces, notre courage s’épuisait, notre bon moral lui-même s’amenuisait.
    Il nous fallait être au moins quinze pour transporter un arbre, d’où fureur des Allemands dont les coups pleuvaient et antipathie incoercible entre, d’une part les Russes et les Polonaises, et d’autre part les Françaises. Ces prisonnières d’ailleurs ne s’entendaient pas bien ; elles étaient de milieux fort différents, et nous sentions que le jour où elles disposeraient d’un peu de liberté, il y aurait des règlements de compte atroces.
    Nous avons fait des routes car les Allemands, afin de protéger leurs avions, ne les laissaient plus sur les terrains d’aviation. Ils les remorquaient en les traînant par la queue et empruntaient nos routes et nos abris qui étaient remplis de munitions de toutes sortes.
    Lorsque les Allemands furent satisfaits de notre travail, ils nous firent faire une voie ferrée, et pour cela on nous emmena à « Mittenwald ». J’ai eu la chance immense de n’être allée qu’une seule fois à « Mittenwald » : quel travail horrible !
    Il fallait être à l’appel à trois heures du matin, puis prendre un petit train qui nous emmenait à l’est de Berlin ; là, il nous fallait entasser des cailloux, puis mettre les rails, les fixer sur les tréteaux de bois. Les sentinelles nous donnaient des coups de crosse de fusil et se mêlaient elles aussi, de nous faire aller plus vite, toujours plus vite. Les Allemands devenaient nerveux, anxieux ; les événements ne tournaient pas à leur avantage. Cette voie ferrée les exaspérait car elle devait servir à contourner les voies existantes afin d’évacuer leurs blessés de la région de l’Est dont le nombre allait croissant car, après une résistance acharnée, le fort de Kustrin était aux mains de l’Armée Soviétique. Nous étions arrivées à un état de fatigue tel, et étions tellement à bout de nerfs, que nous craignions de ne plus pouvoir tenir longtemps. Notre moral devenait mauvais, le poids sur l’épaule de nos pelles nous devenait insupportable, nos vêtements détrempés qui nous collaient au corps ne séchaient plus et restaient continuellement en contact avec notre peau. Notre corps même s’était transformé ; nous n’étions plus qu’un
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