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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes
Autoren: Christian Bernadac
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S.S. Pas un seul civil présent pour, au besoin, témoigner des scènes qui se déroulaient dans le camp. Je sais que les S.S. se moquaient des avis des ouvriers civils mais, pour nous, c’était quand même un vague soutien, et puis l’usine devait tourner, nous étions là pour cela, nous le savions, et il aurait fallu un événement vraiment extraordinaire pour que l’usine s’arrêtât. Or, ces samedis et dimanches se passaient en corvées de toutes sortes : nettoyage des schlafsaals, nettoyage des paillasses, inspections des vêtements, fouilles de nos sacs. Cette dernière opération était une source de bien des émotions car, malgré la vigilante garde des Aufseherinnen et le peu de liberté dont nous disposions, nous arrivions à bricoler des tas de petites choses, des bibelots que nous voulions à tout prix ramener à nos familles.
    C’est étonnant comme le manque de tout ce qui pouvait donner à notre vie un vague relief de civilisation, nous rendait ingénieuses. Et, en plus de notre livre de cuisine, nous nous étions fabriquées des peignes, des épingles, des broches. Nous avons fait encore des objets bien plus artistiques, des bagues taillées dans la matière plastique transparente qui était utilisée pour la fabrication des avions. Presque toutes mes camarades françaises ont ramené, parmi leurs souvenirs, une bague dont les formes, je vous l’assure, ne manquaient ni d’originalité ni d’harmonie. Nous avions fait aussi des breloques. Sans me vanter, c’était ma spécialité : petits chiens, cochons, arbres de Noël, poissons, etc. Beaucoup de mes camarades françaises et yougoslaves en ont emporté en souvenir. Pour mon anniversaire, ma charmante amie Samson m’avait offert une adorable petite fourchette en bois qui fit l’admiration de toutes les Françaises et me combla de joie. Nous faisions aussi avec du duralumin, des cœurs où étaient gravées nos dates d’arrestation ainsi que le nom des villes parcourues pendant notre captivité.
    Chacune de nous, bien entendu, possédait un petit couteau dont le manche était gainé de caoutchouc. J’ai fabriqué aussi, avec des ersatz de paille, de charmantes poupées que je peignais ensuite et qui représentaient des petites danseuses en tutu, des cow-boys avec leur lasso et leur cheval, des bouquets de fleurs tricolores, et j’ai même confectionné une paire de chaussons à mon amie Léa avec un outil que j’avais recourbé en forme de crochet.
    J’avais trouvé dans un journal une carte de l’Allemagne que j’avais soigneusement recopiée ; ainsi nous pouvions suivre les événements presque journellement. Or, ces fouilles, pour nous, étaient une véritable terreur. Où cacher toutes ces précieuses merveilles ? Après bien des recherches, nous avions enfin trouvé une cachette idéale. Dans le dortoir qui nous avait été distribué par la suite, il y avait un immense lavabo, d’une largeur de quinze à vingt centimètres et qui tenait toute la longueur de la salle ; or, sous cette toilette, il y avait un espace vide entre le mur et l’évier. Alors, nous étions sauvées et c’est grâce à cet espace que nous avons presque toutes ramené nos précieux souvenirs. Les fouilles, une fois terminées, on nous faisait mettre en rangs, comme il se doit, et, chantant des chansons allemandes, les Gitanes en tête, nous marchions durant des heures dans la cour de l’usine en longeant les bâtiments par n’importe quel temps.
    Nous avions aussi l’épouillage avec sa problématique tonte des cheveux. Ou bien encore, c’était un « appel » qui devait durer toute la journée, résultat – paraît-il – d’une mauvaise semaine de travail…
    Dans l’autre corps de bâtiment, on trouvait une grande pièce où l’on faisait de la couture, des raccommodages. Là, se terraient les planquées dont aucune n’était Française. Enfin, à côté, se trouvait le « Revier », proprement tenu, largement éclairé par une vaste fenêtre. Il contenait cinq lits peints en blanc dont les matelas et couvertures étaient glissés dans des enveloppes en tissu à carreaux bleus et blancs. À côté de chaque lit, une chaise, et dans le fond, un petit lavabo. Tous les jours, le kommandant et la kommandante venaient passer l’inspection des malades. Si, au bout de dix-huit jours, les prisonnières n’étaient pas rétablies, elles étaient évacuées automatiquement sur le camp de Ravensbrück. Nous n’en revîmes jamais une
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