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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes
Autoren: Christian Bernadac
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— Ils ont retrouvé Odette !
    — Je l’avais bien dit.
    — Peut-être ! Peut-être ! Mais Odette a eu le courage d’essayer. Elle est même la première Française à avoir essayé et sa tentative donnera des idées à d’autres qui réussiront. Elle a prouvé que l’on pouvait s’évader de Ravensbrück.
    — Pour trois jours !
    — Pour trois jours, oui. Et trois jours de liberté ça compte…
    — Surtout pour elle car « ses trois jours » auront été les derniers. En attendant, ton Odette : cinquante coups de gummi sur les fesses et si elle n’est pas morte après ça, le bunker ! Dix ou quinze jours, nue, sans nourriture, dans un fond de cave. Si par miracle « après » elle a encore un souffle : compagnie disciplinaire… Enfin quoi, elle est foutue ! Bien foutue. Il vaudrait mieux qu’ils la gazent tout de suite.
    — Je la connais : elle tiendra.
    *
    * *
    Déshabillée (i) , je suis attachée par les poignets, le cou et les chevilles sur une sorte de « table de torture » . Les officiers m’entourent ; l’un d’eux, vêtu d’une cape, porte monocle. On a fait appel à des volontaires pour remplir l’office de bourreaux, trois se sont présentées : fortes et solides filles tentées par des soupes supplémentaires. Depuis ma détention, je garde mon alliance et, dans les moments critiques, pour la dissimuler, je la mets dans ma bouche. Je ne peux donc pas crier. Un officier, médecin, se détache du groupe tous les dix coups et prend mon pouls afin de vérifier mes pulsations et, sans doute, l’état de mon cœur. Il prie, à chaque interruption, une interprète polonaise, seule personne autorisée à assister à cette scène incroyable, si incroyable que je vivais dans une sorte de dédoublement tellement irréel que la souffrance me fût épargnée, de me demander si j’ai quelque chose à dire pour expliquer mon geste…
    Ma seule réponse, toujours la même, est qu’un retour dans mon foyer libéré m’a brusquement tenté davantage qu’une prolongation de séjour au milieu de forcenés et de mourantes.
    À la fin, quand on me relève, le S.S. me dit : « Vous n’avez pas crié Madame. » Tout ce que je trouve à répondre c’est : « Mais je suis Française », ce qui me vaut des coups de botte. Alors je m’évanouis.
    — Et Odette ! Elle a tenu ?
    — Oui, elle a tenu. Elle n’a pas crié et comme on lui demandait « pourquoi ? » , elle a simplement répondu : « Je suis Française ! »
    — Je suis Française ! Si elle a dit ça, elle supportera le bunker.
    Je (ii) me réveille de mon évanouissement, nue, étendue sur la terre. Combien de temps suis-je demeurée là ? Je ne sais. J’entrevois une sorte de lavabo, comme à Fresnes, avec un robinet, un tabouret enchaîné et un lit retourné, accroché et fermé à clé. Je reste couchée sur le sol pendant dix jours sans manger. Je dois hurler et gémir. C’est l’eau que je peux boire qui me permet de tenir le coup. Je délire et je vois le Lord-Maire de Cork (réminiscence d’une histoire contée dans mon enfance) faisant la grève de la faim et résistant. Et je vois Gandhi. Mais surtout, dans ma demi-conscience, un papier blanc vole devant mes yeux. C’est le mot que, du train, j’avais pu faire passer à ma fille de douze ans, en lui promettant de revenir. Au bout de dix jours, on me jette une robe rayée et une lettre… C’est une carte de ma fille, la seule que je recevrai au camp… Un érésipèle géant s’est formé sur l’une de mes jambes, sans doute à la suite des plaies, dues au « chat à neuf queues » , qui s’infectaient faute de soins.
    — Odette a tenu. Elle n’est pas belle à voir, mais elle est vivante. Vivante !
    — Une drôle de bonne femme ! Tu la connais bien ?
    — Tu sais, ici personne ne se « connaît » bien… Elle s’appelle Odette Fabius.
    Depuis (iii) vingt-cinq ans, ces événements se sont fixés peu à peu en moi comme des images sur un kaléidoscope, dans un bouillonnement intense de contradictions ; il reste maintenant l’essence même de mes sensations…
    Mes souvenirs remontent à juin 1940. Par moment, je me demande si ma vraie naissance à la vie ne se situe pas à cette époque. Avant, je vivais sans doute… mais… que savais-je de la liberté ? du devoir ? du respect de soi ?
    J’avais eu ce qu’il est convenu d’appeler « une jeunesse dorée », sans problème. Fille d’avocat à la Cour,
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