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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes
Autoren: Christian Bernadac
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hurlements, quelquefois « au voleur », ou bien encore on sentait, dans sa nuque, le souffle chaud d’une fille qui vous murmurait des phrases incompréhensibles où revenaient de temps à autre des mots tels que : « mein liebe », puis une main vous empoignait la poitrine. Que faire ? On se débattait, et dans la bousculade on essayait d’envoyer à l’agresseur un bon coup de coude dans l’estomac ; mais le coup portait à faux et, bien entendu, la fille qui recevait le coup inattendu, vous empoignait et, si vous aviez la chance de posséder un « kopf-tuch », mouchoir de tête, il disparaissait comme par enchantement. Si, au contraire, on ne portait rien sur la tête, le peu de cheveux qui vous restait ou qui repoussait vous était arraché.
    Une fois dans les abris, il nous fallait attendre, car nous ne mangions jamais pendant les alertes. Nous étions fatiguées, mais notre fatigue n’était rien à côté de nos tourments. Pourquoi ? C’est facile à expliquer : quand il y avait alerte, les lumières s’éteignaient ; quand les lumières s’éteignaient, tout disparaissait.
    Alors, qu’allait devenir notre soupe ? notre pain ? et notre ration de margarine et de saucisson ? car c’était à la soupe du soir que l’on nous remettait – je devrais dire, nous jetait – notre ration de pain de la journée. Nous savions bien qu’au moins notre bon quart de la distribution se serait volatilisé… mais, que faire ? attendre, attendre la fin de l’alerte. Si le vol n’était pas trop important, nous aurions notre soupe, mais si, au contraire, les bidons et le pain avaient disparu, il y aurait de nouveaux appels avec fouilles et, bien entendu, on ne retrouverait rien.
    Tout à coup, les sirènes se remettaient à hurler. Quelques coups d’abord, pour annoncer que le danger était écarté, puis un dernier long hurlement qui signifiait la fin de l’alerte. Comme il y avait eu vol, on nous faisait de nouveau mettre en rangs, et après une pause d’une heure ou deux, ou même davantage, nous entendions, enfin, le « ab-treten » (fin de l’appel) tant attendu. Résultat : nous avions un quart ou une demi-louche de soupe, ou peu ou pas de pain.
    Ensuite, nous allions nous reposer.
    La kommandante suivie de ses fidèles chiens de garde passerait faire son inspection. Vite on arrangerait au mieux ses affaires sur son châlit et on attendait debout, au garde-à-vous.
    « Achtung ! achtung ! » enfin la voilà. À cette femme qui semblait si heureuse de nous regarder, quel triste tableau nous devions représenter… avec nos pauvres chemises, nos cheveux ou rasés ou repoussants ou raides, encore pleins de duralumin, nos mains sales et dures, nos bras maigres, notre regard qui luttait continuellement pour garder un peu de sa vivacité, un peu de son expression. Rarement son inspection se passait sans drame…
    Enfin, elle repartait.
    Hop ! au lit, dormons quelques heures en attendant la prochaine alerte qui nous prendra certainement en pleine nuit. Évidemment, cela nous ennuie bien un peu de nous remettre sur pieds dans quelques heures et d’aller grelotter dans ces abris sinistres, mais cela n’ennuie pas notre cœur, je vous l’affirme, car nous savons que lorsque les bombes tomberont drues comme grêle, il sautera de joie dans notre poitrine,
    (sur l’air de Lili Marlène)
    Quand l’alerte sonne
    On descend la nuit
    Faire un petit somme
    Au fond des abris.
    On entend les bombes tomber
    Et ça nous fait bien rigoler
    Que tout soit détruit
    Dans ce maudit pays.
    Le travail des « nachtschichtes » était le même que celui des « tageschichtes ». L’heure d’arrêt que l’on octroyait le jour se trouvait diminuée d’un quart d’heure la nuit car, étant moins nombreuses, la soupe de nuit ne durait qu’une demi-heure au lieu de trois quarts d’heure. Mais la nuit comme le jour nous semblait interminable.
    Le deuxième et le troisième dimanche du mois, l’usine ne marchait pas, nous étions, soi-disant, au repos. Il en était de même pour deux samedis où nous travaillions de sept heures du matin à une heure de l’après-midi pour l’équipe de jour, et de seize heures à vingt et une heures pour l’équipe de nuit.
    C’était ces temps de repos que nous redoutions le plus, et il ne se passait pas un seul jour où nous ne manquions de faire des commentaires sur ces futurs tristes moments.
    Nous étions, ces jours-là, absolument livrées aux mains des
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