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Le Baptême de Judas

Le Baptême de Judas

Titel: Le Baptême de Judas
Autoren: Hervé Gagnon
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L’espace d’un instant, je la revis alors qu’elle m’aidait à sortir de la fosse que Césaire et ses complices avaient creusée pour moi, quand je n’étais encore qu’un garçon. Ses cheveux blonds qui brillaient dans les rayons du soleil ; ses yeux d’un vert foncé si particulier ; son sourire franc qui creusait des fossettes sur ses joues. Ce jour-là, malgré sa laideur et son infirmité, elle avait été radieuse. Elle s’était insinuée dans mon cœur pour ne plus jamais en sortir. De tout cela, il ne restait rien. Son regard était celui d’une enfant trompée et déçue. J’aurais préféré y voir de la haine. Elle m’eût été moins pénible que la déception que j’y lisais. Mais Pernelle était incapable de détester. Elle se contenta de baisser la tête, dépitée, et mon désespoir augmenta d’autant plus.
    Je finis par m’endormir contre mon arbre. Dans mes rêves, Montbard, le père Prelou et ma mère vinrent tout à tour me faire la leçon et me couvrir de blâme. Même en songe, je ne me défendis pas. Ils avaient tous raison. Comme Judas-Bar-Simon dit l’Ishkarioth, j’avais trahi ma cause.
    Ce fut la sensation du métal froid sur mon cou qui me tira du sommeil. En temps normal, j’aurais pu compter sur mes réflexes bien aiguisés, mais mes liens m’empêchèrent de réagir. La lame était fermement appuyée. Un bras puissant m’enserrait le torse à la hauteur des épaules. J’étais immobilisé.
    La voix avec laquelle j’avais échangé des blagues et échafaudé tant de stratégies chuchota à mon oreille. Elle était maintenant remplie de fiel et les mots qu’elle récita, les dents serrées par la rancœur, me firent frémir. J’en connaissais trop bien la portée.
    — Moi, Ugolin de Bisor, je promets et je jure de garder les secrets de l’Ordre des Neuf. Je m’engage à ne les point révéler et à empêcher tout frère ou sœur de le faire, y compris son Magister, s’il est en mon pouvoir de l’en empêcher, et en le tuant s’il le faut.
    À ces mots, il accrut la pression sur ma gorge. Je sentis la peau s’ouvrir un peu et quelques gouttes de sang couler.
    —    Quant à obéir en tout au Magister sans jamais contester les ordres donnés sous l’abacus, continua-t-il, point n’est besoin de te dire que je m’estime dégagé de mon serment par ta trahison. En ce qui me concerne, tu as abdiqué ta fonction, Gondemar.
    Le diable d’homme était parvenu à se défaire de ses liens et à s’emparer d’une arme. Nul doute que, quelque part non loin de nous, le cadavre d’un soldat traînait dans le noir. Malgré la situation, je ne pus m’empêcher de ressentir une immense sympathie pour ce guerrier courageux qui avait été mon ami.
    —    Ugolin, balbutiai-je, le mouvement de mon gosier faisant pénétrer le tranchant dans ma chair. Je sais que je t’ai déçu. Je... je voudrais tant t’expliquer, mais tu ne comprendrais pas.
    —    Secretum Templi, rétorqua-t-il. Comme le disait Montbard, Dieu ait son âme, une langue froide ne parle pas.
    —    Fais maintenant ce que tu voudras avoir fait quand tu te mourras, Ugolin, répondis-je, me rappelant la sentence qui m’accueillait à la porte du temple des Neuf.
    Sachant ma dernière heure venue, je fermai les yeux et attendis que la lame s’enfonce dans ma trachée. Je retournerais en enfer un peu plus vite que je ne l’avais cru. Indifférent, je m’abandonnai à la mort. Je ne ressentais que lassitude et soulagement. Mais le géant hésita.
    —    Sache que, malgré tout, je regretterai ce geste tant que Dieu me prêtera vie, ajouta-t-il d’une voix tremblante.
    —    Je comprends. Et je te pardonne.
    Je sentis les muscles de son bras se bander pour accomplir la triste besogne qu’il s’était fixée. Mais une fois de plus, Dieu me refusa la délivrance. Un grand brouhaha s’éleva derrière moi et Ugolin fut projeté au sol. Lorsque je me retournai, médusé, plusieurs soldats avaient fondu sur lui et le rouaient de coups. Des poings s’abattirent sur son visage et des pieds dans son ventre et sur ses membres. Pendant de longues minutes, il fut sauvagement roué de coups et n’importe qui d’autre y eût laissé la vie. Son supplice ne fut interrompu que par l’arrivée de Pierrepont, dont le visage dur brillait dans les flammes du feu.
    —    Que se passe-t-il ici ? s’enquit-il de ce ton autoritaire qui ne le quittait jamais, en frottant sa barbe striée
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