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Le Baptême de Judas

Le Baptême de Judas

Titel: Le Baptême de Judas
Autoren: Hervé Gagnon
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d’Ugolin et de Pernelle, que je surprenais parfois en me retournant vers eux, me brûlait la peau comme une braise rouge appliquée entre mes omoplates. Mes deux compagnons étaient cathares, le premier de naissance, la seconde par choix. Ils étaient membres des Neuf et acceptaient la mort, si tel était le prix à payer pour protéger la Vérité. Contrairement à moi, leur honneur et leur moralité étaient sans faille. Ils ne pouvaient pas comprendre ma décision et je ne les en blâmais pas. À leur place, j’aurais réagi pareillement. La question était de savoir comment ils auraient agi à la mienne.
    À l’avant de l’escadron, Alain de Pierrepont chevauchait en compagnie de Lambert de Thury, de Guy de Montfort et de sa tante Guiburge. Sans doute à cause de son grand âge, Jehan de Gisors était resté chez lui. Si je haïssais les autres de tout mon être, je ne parvenais pas à éprouver autre chose que de la pitié pour ce vieillard qui avait trahi la cause des Neuf. Comme moi, la nécessité l’y avait conduit et je n’étais pas en position de le juger.
    Un peu en retrait derrière eux, Guillot transportait la cassette contenant le suaire. Il aurait pu glisser l’objet dans l’un des sacs de sa selle, mais il le serrait plutôt contre sa panse. Cette mission lui procurait sans doute ce sentiment d’importance qu’il convoitait tant. L’infect moinillon s’imaginait déjà en train de remettre le précieux trésor au pape en personne pour être ensuite célébré et couvert d’honneurs. C’était bien mal connaître Simon de Montfort que de croire qu’il partagerait le prestige. Guillot en serait quitte pour une rebuffade de plus.
    Je constatai que mes tortionnaires parlaient de moi car, de temps à autre, l’un d’eux se retournait pour me toiser et m’adresser un sourire qui m’humiliait davantage que tous les coups qu’on aurait pu me porter. Tous avaient un air satisfait et plein d’eux-mêmes. L’air de ceux qui ont eu le dernier mot. Je ne pouvais m’empêcher de rager en voyant le jeune Montfort si courageux maintenant qu’il était hors de ma portée. De près, le maudit efféminé aurait sans doute couiné de terreur. J’acceptais cependant tout cela avec résignation. Si je me retrouvais dans la position qui était la mienne, c’était par ma seule faute. Ma stupidité, ma naïveté, mon orgueil m’y avaient conduit. Ils pouvaient bien rire de moi jusqu’à plus soif. J’en aurais fait autant.
    Sous peu, Innocent III rirait à gorge déployée, lui aussi. Dès qu’il posséderait les deux parts de la Vérité, il s’empresserait de les détruire et le mensonge sur lequel l’Église avait été construite occuperait toute la place. Sa domination sur le monde terrestre, ainsi que celle de ses successeurs, serait assurée pour des millénaires. Ensuite, ce ne serait qu’une question de temps avant que la foi des cathares ne disparaisse sous les coups des croisés et des prêtres. Le Sud finirait par être annexé au royaume de France et Philippe II Auguste y régnerait en souverain absolu. Les terres hérétiques deviendraient chrétiennes. Les efforts des familles fondatrices seraient effacés. La tromperie deviendrait vérité. Tout cela à cause de mon incurie et de ma faiblesse.
    Après cinq jours de marche, nous parvînmes aux environs de Rossal. Nous avions pris le même chemin qu’à l’aller et, depuis notre départ, je redoutais ce moment, mais à mon grand soulagement nous contournâmes le village. Le chemin que nous suivîmes était un de ceux que j’avais pris, jeune garçon, en compagnie de mon père, lors de nos tournées de la seigneurie, puis avec Bertrand de Montbard, pour aller chasser des brigands qui avaient eu l’inconscience de s’aventurer sur nos terres. Je ne saurai jamais pourquoi Alain de Pierrepont choisit cette route plutôt que de traverser le village. Était-ce parce qu’il y avait déjà séjourné et savait qu’il n’y avait rien à piller ? Quoi qu’il en soit, je lui en fus reconnaissant. De loin, la vue des lieux de mon enfance me fut un peu moins pénible.
    Le village semblait tranquille. La fumée qui montait des maisons m’indiquait qu’il était encore habité. Sur la place que j’avais si souvent arpentée, je pouvais apercevoir des femmes et des enfants qui vaquaient à leurs occupations. Un peu plus loin, des hommes construisaient une maison. Dans quelques semaines, on ensemencerait les champs tout autour et
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