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L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford

L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford

Titel: L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
Autoren: Ron Hansen
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inhaler ;
il buvait rarement d’alcool plus fort que de la bière. Il ne s’abandonnait
jamais à la débauche et ne faisait pas d’infidélités à sa femme ni ne
regrettait de s’être marié. Il ne jurait jamais en présence de dames ni n’élevait
la voix contre les enfants. Il avait de fins cheveux châtains et fréquentait
assidûment le coiffeur, mais il s’était tellement dégarni depuis ses vingt ans
qu’il craignait de devenir chauve et se frictionnait les tempes d’oignon et d’huile
de myrte afin de stimuler la croissance de sa chevelure. Il arborait une barbe
de cinq centimètres qu’éclaircissait le soleil et qu’il taillait à la mode des
médecins de l’époque. Il avait des yeux bleus, dont les iris étaient rehaussés
de pyramides vertes pareilles à celles qui ornent le dos des billets de un
dollar, et que ses sourcils protégeaient si bien qu’il n’avait presque jamais
besoin de les plisser ou de les détourner des lueurs vives. Son nez était
différent de celui de sa mère ou de son frère, non pas long et proéminent, rien
d’un pic ni d’un cap, mais quelque peu retroussé, malléable, malicieux, plébéien,
qui gâchait, pensait-il, un visage par ailleurs beau et noble.
    Quatre de ses molaires étaient couronnées d’or
et luisaient parfois quand il souriait. Il conservait la trace de deux
blessures par balles mal guéries à la poitrine, ainsi que d’une autre à la
cuisse. Il lui manquait l’extrémité du majeur gauche et il avait soin de cacher
cette mutilation. Il s’était fait exciser un furoncle à l’aine et en avait
gardé une cicatrice blanche en forme d’étoile. Un cheval sur lequel il devait s’enfuir
s’était dérobé et il s’était fracturé la cheville dans l’étrier, si bien que, même
une fois rétabli, son pied était demeuré un peu tordu et sensible aux
variations barométriques. Il présentait également une pathologie connue sous le
nom de blépharite qui l’amenait à cligner des yeux plus souvent que la moyenne,
comme s’il avait quelque mal à accepter la Création dans son intégralité.
    Il était démocrate. Il était gaucher. Il avait
un filet de voix haut perché, tendu, dont le contralto pouvait prendre la
sonorité désagréable d’une guitare pourvue de cordes en boyau de chat lorsqu’il
s’emportait. Il possédait cinq costumes, ce qui était rare à l’époque, ainsi
que des gilets et des cravates de brocart colorés. Il portait une ceinture et
un col longs, respectivement, de quatre-vingt-un et trente-six centimètres. Il
avait une prédilection pour les chaussettes de laine rouges. Il se nettoyait
les dents avec le doigt après les repas. Il était accablé d’insomnies tenaces
et essaya ainsi quantité de soporifiques dont le principal effet fut d’alimenter
sa fascination pour les remèdes pharmaceutiques.
    Il ne pouvait pas faire une multiplication ou
une division sans se tromper et sa science relevait pour l’essentiel de la
superstition. Mais il était capable d’énumérer les multiples descendants d’Abraham
et les soixante-six livres de la Bible, ainsi que de réciter psaumes et poèmes
d’une voix de stentor avec les mimiques appropriées ; il savait chanter
les cantiques religieux de façon si convaincante qu’il officia même pendant un
mois comme chef de chœur ; il était toujours merveilleusement informé de l’actualité.
Et pourtant il croyait que l’encens était fabriqué à partir d’ossements de
saints, que le cuir continuait à grandir s’il n’était pas teint et que s’il se
concentrait assez, il pouvait étourdir les grenouilles du lac dans lequel il se
baignait grâce au courant électrique généré par son corps.
    Il pouvait être aussi intimidant qu’Henri VIII  ; il pouvait d’une
minute à l’autre se montrer tour à tour imprudent ou serein, raisonnable ou
dément. Quand il entrait quelque part, les têtes se tournaient dans sa
direction ; quand il s’avançait dans l’allée d’un magasin, les commis
battaient en retraite ; quand il s’approchait d’animaux, ceux-ci
reculaient. Lorsqu’il était dans une pièce, il y faisait plus chaud, la pluie
tombait plus dru, les horloges ralentissaient, les bruits étaient amplifiés :
ses ennemis n’eussent guère été surpris qu’il tirât des hiboux des bouteilles
de bière ou qu’il allumât des flammes pareilles à celles de bougies au bout de
ses doigts.
    Il se considérait comme un loyaliste sudiste,
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