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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue
Autoren: Valerio Manfredi
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précieuse ceinture pour notre souveraine. À la fin de l’été, un Perse richement vêtu, escorté par de nombreux gardes du corps, vient recueillir ce que nos parents ont réussi à rassembler en l’espace d’une année de dur labeur. Il nous expose à la faim et à la misère afin de payer une ceinture à une femme qui en possède déjà des dizaines, et qui n’a sans doute aucun besoin d’une ceinture supplémentaire. Par surcroît, il affirme que c’est un honneur pour nous, et que nous devrions en être fiers. Il n’est pas donné à tout le monde de fournir un vêtement ou un accessoire à un membre aussi prestigieux de la maison royale.
    J’ai essayé plus d’une fois d’imaginer cette maison, en vain : de trop nombreuses histoires circulent sur ce qui apparaît comme une demeure hyperbolique. Certains prétendent qu’elle se dresse à Suse, d’autres à Persépolis, d’autres encore à Pasagardes, sur le haut plateau. Peut-être se trouve-t-elle dans tous ces lieux à la fois. Ou alors à équidistance de ces villes.
    J’habite une bicoque de deux pièces, l’une où l’on dort, l’autre où l’on mange. Le sol est en terre battue, et c’est sans doute la raison pour laquelle tout ce que nous avalons a un goût de poussière ; le toit est composé de troncs de palmiers et de paille. Quand nous allons puiser de l’eau au puits, mes amies et moi, nous bavardons longuement, au risque de recevoir une raclée à notre retour.
    Souvent, nous rêvons tout éveillées qu’un noble et beau jeune homme nous emmène loin de ce village où chaque jour est identique au précédent. J’ai beau savoir, comme elles, que cela ne se produira jamais, cela ne m’attriste guère : je suis heureuse de vivre, de travailler, de discuter avec mes amies. Rêver ne coûte rien, cela nous permet de vivre pendant quelques instants une autre vie, celle que nous aimerions avoir et que nous n’aurons jamais.
    Un jour, alors que nous nous dirigions vers le puit, le vent nous assaillit, nous faisant vaciller, nous obligeant à nous courber pour résister à sa poussée. Nous le connaissions : c’était le vent qui gronde !
    Soudain, une brume épaisse enveloppa et obscurcit toute chose. On ne distinguait plus que le disque du soleil, qui était d’un rose étrange et semblait suspendu dans le néant, au-dessus d’une lande sans frontière ni formes définies, un pays de spectres.
    Une forme qui paraissait flotter dans les airs avança vers nous.
    Un fantôme.
    Un de ces esprits qui surgissent des entrailles de la terre au couchant et s’enfoncent dans la nuit dès que le soleil se cache derrière l’horizon.
    « Regardez », dis-je à mes amies.
    Les contours de sa silhouette se précisaient, mais le visage demeurait invisible. Les bruits du soir résonnaient derrière nous : les paysans rentrant des champs, les bergers poussant les troupeaux vers les étables, les mères appelant les enfants. Puis le silence se fit. Le vent qui gronde se tut, la brume se dissipa lentement. À notre gauche surgirent les douze palmiers qui entouraient le puits ; à notre droite, la colline d’Aïn Ras.
    Et elle, au milieu.
    C’était une très belle jeune femme au visage encadré par de longs cheveux sombres.
    « Regardez ! » répétai-je, alors que sa silhouette frêle était déjà au centre de l’attention. Elle se dirigeait vers Beth Qadà d’un pas lent, sous des regards de plus en plus lourds.
    En pivotant, nous découvrîmes que de nombreux hommes s’étaient rassemblés à l’entrée du village, dressés comme pour former un mur. Certains hurlèrent des mots terribles, empreints d’une violence déconcertante. Des villageoises accoururent à leur tour. L’une d’elles s’écria : « Va-t’en ! Pars tant qu’il en est encore temps ! » Mais la jeune femme ne l’entendit pas, ou ne voulut pas l’entendre : elle poursuivit son chemin. À présent, le poids de la haine l’écrasait, il alourdissait son pas.
    Un homme ramassa une pierre et la lança vers elle, ratant de peu sa cible. D’autres l’imitèrent. L’inconnue vacilla, une pierre la toucha au bras gauche, une autre au genou droit, provoquant sa chute. Elle se releva à grand-peine. On aurait dit qu’elle cherchait un visage ami dans la foule.
    Je m’exclamai : « Laissez-la tranquille ! Ne lui faites pas de mal ! »
    Personne ne m’écoutait. D’autres pierres volèrent. La femme tomba à genoux.
    Je ne la connaissais
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