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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue
Autoren: Valerio Manfredi
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scintiller sous la lumière de la lune, coulant en direction du grand Euphrate, au loin, à l’est.
    » Chaque pas me rapprochant du lieu de notre rendez-vous me faisait trembler d’émotion et de peur. J’éprouvais une sensation nouvelle, une appréhension qui me coupait le souffle et une mystérieuse excitation qui me transmettait une telle légèreté que je me sentais capable de m’envoler. Je parcourus au pas de course le dernier tronçon qui me séparait de la palmeraie et jetai un regard circulaire.
    » L’endroit était désert.
    » Peut-être avais-je tout imaginé, peut-être n’avais-je pas bien interprété ce que le jeune homme avait essayé de me dire au moyen de ses gestes, de ses signes, de ses paroles laborieusement prononcées dans une langue qui était pour lui étrangère. Peut-être voulait-il me jouer un tour, m’effrayer en jaillissant de derrière un palmier. Je fouillai les lieux du regard, en vain. Refusant de croire qu’il ne viendrait pas, je patientai. J’ignore combien de temps je restai là. Je vis bientôt la lune descendre vers l’horizon et la constellation de la Lionne s’enfoncer derrière les dômes lointains du Taurus. Inutile de me leurrer : je m’étais trompée, et il était temps de regagner mon village.
    » Je m’apprêtais à retourner sur mes pas quand j’entendis une galopade, sur ma gauche. Je pivotai et distinguai dans un nuage de poussière que transperçaient les rayons de la lune le cheval et le jeune homme qui l’éperonnait. Un instant plus tard, il était devant moi. Il tira sur les rênes et sauta à terre.
    » Avait-il craint, lui aussi, de ne pas me trouver au rendez-vous ? Éprouvait-il la même impatience, le même désir, la même inquiétude que moi ? Nous nous précipitâmes dans les bras l’un de l’autre, nous nous embrassâmes avec une frénésie presque délirante. »
    Abira s’interrompit, se rendant compte qu’elle s’adressait à des adolescentes qui n’avaient jamais connu d’homme, et baissa la tête. Quand elle la releva, elle pleurait avec abandon et tristesse, ses larmes coulaient sur ses joues, aussi grosses que des gouttes de pluie. Nul doute, elle avait aimé avec une intensité qu’il nous était impossible d’imaginer. Et souffert énormément. Soudain, elle paraissait écrasée par la pudeur et semblait hésiter à relater sa passion à des gamines dépourvues d’expérience. Nous l’observâmes un moment, interdites. Elle finit par sécher ses yeux et poursuivit :
    « Cette nuit-là, je compris les paroles de ma mère et je devinai que vivre au village auprès d’un être insignifiant, indigne de mon âme passionnée, partager ses pensées et son intimité serait humiliant, intolérable. Car mon corps et mon esprit avaient vibré avec la même intensité que ceux de l’homme qui m’avait aimée, me faisant toucher le visage de la lune et le dos du torrent.
    « L’armée s’attarda au campement, et nous nous aimâmes chaque nuit. Mais plus les heures passaient, plus l’angoisse de la séparation grandissait en moi. Comment allais-je vivre sans mon amant ? Comment pourrais-je me contenter des chèvres et des moutons de Beth Qadà après avoir chevauché un ardent destrier ? Comment supporterais-je la torpeur de mon village après avoir connu le feu qui brûle la chair et enflamme les yeux ? J’aurais aimé lui parler, mais il ne comprenait pas ma langue, et lorsqu’il s’adressait à moi dans la sienne, qui était douce et harmonieuse, je n’entendais qu’une musique confuse.
    « La dernière nuit.
    « Couchés sous les palmiers, nous contemplions les myriades d’étoiles qui ornaient la voûte céleste. J’étais au bord des larmes : mon amant partirait et m’oublierait bien vite. Sa vie l’y obligerait : d’autres étapes l’attendaient, d’autres villages, d’autres villes, fleuves, monts, vallées, d’autres gens. C’était un guerrier, fiancé avec la mort, dont chaque jour risquait d’être le dernier. Il aimerait d’autres femmes. Mais moi ? Pendant combien de temps son souvenir me tourmenterait-il ? Pendant combien de temps me lèverais-je en nage, dans la chaleur des nuits d’été, réveillée par le vent qui siffle et pleure sur les toits de Beth Qadà ?
    « Comme s’il avait lu dans mes pensées, il passa son bras autour de mes épaules et m’attira à lui. Je lui demandai comment il s’appelait afin de conserver au moins son nom, et il prononça un
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