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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue
Autoren: Valerio Manfredi
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comprenait pas. Il avait juste appris cette phrase pour s’assurer que je le comprendrais.
    « Il la répéta. Alors que, quelques instants plus tôt, j’aurais donné n’importe quoi pour l’entendre, anéantie par son absence, je fus soudain envahie par la crainte. Devoir me décider si vite et de manière irréversible m’effrayait. Tout quitter : ma maison, ma famille, mes amies, suivre un inconnu, un soldat qui risquait de mourir au premier affrontement venu, à la première embuscade, à la première bataille. Que deviendrais-je ?
    « Cette hésitation ne dura qu’un instant. La crainte de ne plus le revoir l’emporta, et je répondis : “Je te suis.” Il sourit, preuve qu’il avait également appris ces mots. Il monta à cheval, me tendit la main et me hissa sur la croupe. Il poussa l’animal et s’engagea sur un sentier en direction du sud. C’est alors que nous aperçûmes une fille du village qui se rendait au puits. Me reconnaissant, elle s’écria : “Un soldat emmène Abira ! Un soldat emmène Abira ! Venez, venez vite !”
    « Des paysans qui rentraient des champs se ruèrent vers nous en agitant leurs outils. Alors mon amant éperonna son cheval et se ménagea une brèche parmi eux. Se trouvant tout près de nous, ils purent parfaitement constater que je m’agrippais à lui. Ce n’était pas un enlèvement, c’était une fugue. »
    Abira se tut une nouvelle fois et poussa un gémissement sourd. Ces souvenirs paraissaient l’accabler, et les revivre ravivait des plaies qui ne s’étaient jamais cicatrisées. Nous avions maintenant compris pourquoi elle avait été lapidée à son retour à Beth Qadà. Elle avait abandonné sa famille, ses parents, le village, son fiancé, pour suivre un inconnu auquel elle s’était offerte sans pudeur. Elle avait enfreint toutes les règles, et la punition qu’elle avait subie était censée servir de leçon aux autres filles.
    Soudain, elle m’interrogea : « Mes parents vivent-ils encore ? Comment se portent-ils ? »
    J’hésitai.
    « Dis-moi la vérité », insista-t-elle, semblant se préparer à entendre de mauvaises nouvelles.
    Il était étrange, songeai-je, qu’elle eût attendu tout ce temps-là pour s’enquérir de ses parents. Peut-être avait-elle des pressentiments et craignait-elle d’en avoir la confirmation. Quelles que fussent ses pensées, il y avait en elle quelque chose d’énigmatique, de mystérieux, lié à sa survie et au châtiment dont elle avait fait l’objet. Elle avait parcouru la fine ligne de démarcation entre la vie et la mort, pensais-je, elle avait posé le regard au-delà de cette ligne et vu le monde des morts. Sa question n’était pas un pressentiment, c’était l’expression d’une vision.
    « Ta mère est morte, répondit Abisag. De fièvres malignes. Peu après ton départ.
    — Mon père ?
    — Ton père était vivant quand tu es revenue.
    — Je le sais. Je crois l’avoir vu me lancer des pierres, lui aussi. Les hommes ont l’impression d’être déshonorés.
    — Il s’est éteint la nuit même de ta lapidation. De mort subite. »
    À ces mots, le corps d’Abira se raidit, ses yeux devinrent fixes et vitreux. Des visions des enfers défilaient derrière ce regard opaque, j’en étais persuadée.
    Abisag posa une main sur son épaule comme pour la ramener à la réalité. « Tu disais que ton aventure, ta fuite avec le soldat, le passage de la grande armée à travers les villages de la Ceinture, bref tous ces événements, avaient été engendrés par l’histoire des deux frères. Raconte-nous cette histoire, Abira. »
    La femme eut un frisson et serra les pans de son manteau contre elle.
    « Une autre fois, dit-elle. Une autre fois. »

3
    Plusieurs jours s’écoulèrent avant qu’Abira trouvât le courage de nous parler. Nous lui avions procuré de petits travaux à effectuer en cachette pour gagner sa vie : au fil du temps, la disparition de la nourriture dans nos foyers finirait par se faire remarquer. Mais chaque fois qu’on nous envoyait aux pâturages avec les troupeaux, nous essayions d’emporter assez de provisions pour en mettre un peu de côté à son intention.
    Nous l’aidâmes à consolider la cabane afin qu’elle pût y passer l’automne et l’hiver, et nous lui rendîmes visite régulièrement, après être allées puiser de l’eau. Nous apprîmes ainsi la suite de son histoire. Son amoureux au nom très compliqué l’invita à
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