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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue
Autoren: Valerio Manfredi
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Qadà, un matin d’été de ma seizième année. Mais l’énergie que je voyais briller dans son regard et la beauté resplendissante de tout son être me paraissaient constituer les caractéristiques d’une nature différente, supérieure.
    » C’était l’homme que ma mère m’avait décrit, le seul que je désirerais jamais et dont je souhaiterais être désirée, touchée. En cet instant, alors que je me relevais, abandonnant le balancier, je sentis que ma vie ne serait plus la même. Une immense joie et une grande peur m’envahirent, accompagnées d’un vertige qui me coupait le souffle.
    » Il s’approcha et prononça non sans difficulté quelques mots dans ma langue tout en indiquant derrière lui un cheval qui portait ses armes. C’était un guerrier, il précédait une grande armée, qui marchait sur ses traces, à quelques heures de là.
    » Nous n’échangeâmes que des regards et des gestes, mais nous comprîmes tous deux l’essentiel. Il me caressa la joue, s’attarda un peu sur mes cheveux. Il était si près que je percevais ses émotions, qui vibraient intensément à cette heure si tranquille du matin. Je lui fis comprendre qu’il fallait que je parte, et il devina sans doute à l’expression de mon visage combien je le regrettais. Il me montra alors une petite palmeraie, près du fleuve, et traça dans le sable les signes qui constituaient sa réponse : il m’attendrait là, au milieu de la nuit. J’eus aussitôt la certitude que je le rejoindrais, quoi qu’il arrivât. Avant d’accueillir dans mon intimité la plus secrète mon cousin et l’odeur d’ail qu’il dégageait, je voulais savoir ce que signifiait vraiment faire l’amour et – ne fût-ce que pour quelques instants – avoir le sentiment d’être une immortelle dans les bras d’un jeune dieu.
    » L’armée se présenta à la tombée de la nuit, et cette vision plongea tous les villageois – vieillards et jeunes hommes, femmes et enfants – dans la stupeur. Toute la population des cinq villages de la Ceinture avait accouru. Jamais personne n’avait assisté à un tel spectacle. Venant du nord, des milliers de guerriers à cheval et à pied, vêtus de tuniques et de culottes, armés de sabres, de piques et d’arcs, se dirigeaient vers le midi. Chaque division était conduite par des officiers aux tenues somptueuses et aux armes scintillantes. À leur tête, entouré de gardes du corps, un jeune homme élancé, au teint olivâtre, à la barbe très noire et bien soignée. J’apprendrais par la suite de qui il s’agissait et je ne l’oublierais jamais : un des deux frères dont j’ai parlé. Des frères ennemis. Leur lutte sanglante bouleverserait le destin d’innombrables êtres humains, telles des brindilles emportées par la crue.
    »Une division de cette armée me frappa particulièrement. Les hommes qui la composaient portaient une tunique courte et une cape rouge. Leur poitrine était couverte de bronze, métal dont étaient faits aussi leurs énormes boucliers. J’apprendrais par la suite qu’il n’y avait pas de meilleurs guerriers au monde, que personne ne pouvait leur tenir tête au combat, ou songer seulement à les battre. Inlassables, ils résistaient sans peine à la faim et à la soif, à la chaleur et au froid. Ils avançaient au pas cadencé en chantant un refrain que le son des flûtes rythmait. Leurs chefs marchaient avec eux, ils se distinguaient uniquement parce qu’ils n’étaient pas dans les rangs. Les divisions continuèrent d’affluer tout au long des heures suivantes. Les dernières se dirigeaient encore vers l’étape que constituaient nos paisibles villages, quand les premières avaient déjà planté leurs tentes et mangé.
    » Intrigués, les villageois refusèrent de rentrer chez eux pour le dîner et exigèrent que leurs femmes leur apportent de quoi se sustenter. Cette situation favorisa mon geste fou. Personne ne remarqua que je m’éclipsais, à l’exception peut-être de ma mère, qui ne souffla mot.
    » La lune brillait ce soir-là, et le chœur des cigales résonnait de plus en plus fort au fur et à mesure que je m’éloignais des villages et de l’immense campement qui ne cessait de croître. Je dus éviter le puits, car une interminable queue d’hommes, d’ânes et de chevaux chargés d’amphores et d’outrés destinées à ravitailler toute l’armée s’y était formée. Je voyais la palmeraie ondoyer dans la brise nocturne et l’eau
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