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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue
Autoren: Valerio Manfredi
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modeste patrimoine de notre clan. Cela ne me chagrinait pas. Ma mère m’avait expliqué ce qui se passerait après le mariage. Rien ne changerait, pour moi, si ce n’était que mon cousin me donnerait des enfants. À l’entendre, cela ne semblait pas terrible. De nombreuses femmes avaient vécu cette expérience avant moi. Il n’y avait donc pas de quoi s’inquiéter. Un jour où elle était de bonne humeur, ce qui était rarement le cas, ma mère me confia aussi un secret : certaines femmes éprouvaient du plaisir à faire ce que les gens appelaient l’amour, mais pas avec le mari que leur famille avait choisi. Avec d’autres hommes, qui leur plaisaient.
    » Je ne comprenais pas bien le sens de ses propos, mais j’étais frappée par ses yeux qui flamboyaient et semblaient poursuivre de lointaines images.
    » Je lui demandai : “Cela t’est arrivé, à toi aussi ?” Elle me répondit : “Pas à moi, mais j’en ai entendu parler. C’est, paraît-il, la plus belle chose au monde, une chose que n’importe quelle femme peut connaître. Il n’est pas besoin d’être riche, noble ou instruite pour ça, il suffit de rencontrer un homme à son goût. Un homme tellement plaisant qu’on n’éprouve aucune honte à se déshabiller devant lui et aucune répugnance à être touchée, bien au contraire. Tu désires ce qu’il désire, et son désir s’ajoute au tien, libérant une puissante énergie plus enivrante que le vin et provoquant une extase extrême qui, le temps de quelques instants, te rend semblable aux immortels et vaut des années entières d’une vie monotone et fade.”
    » Ma mère me disait donc que la vie d’une femme ressemble parfois, ne fût-ce que très brièvement, à celle d’une déesse. Ces paroles me remplirent d’une étrange agitation, mais aussi d’une profonde tristesse car j’étais certaine que mon cousin boutonneux ne m’offrirait aucune émotion de ce genre. Jamais. Je le supporterais, car il devait en être ainsi. Rien de plus, rien de moins.
    » Le jour où je m’unirais à lui pour le restant de ma vie approchait et je me sentais de plus en plus distraite, incapable de prêter attention à mes tâches quotidiennes. Mon esprit était ailleurs, occupé par l’homme dont ma mère m’avait parlé. L’homme auquel je désirerais montrer mon corps, plutôt que de le cacher, l’homme que j’aimerais contempler à mon réveil, sur la natte, caressé par les premiers rayons de soleil.
    » Il m’arrivait de pleurer sous l’effet de ce désir, que je savais irréalisable. Je balayais du regard les alentours en me disant que l’homme en question se dissimulait quelque part, qu’il comptait parmi les garçons vivant dans nos villages. Mais en étais-je certaine ? Combien de garçons les villages de la Ceinture abritaient-ils ? Cinquante ? Cent ? Pas plus de cent, certainement, et ceux que je croisais sentaient tous l’ail, avaient tous de la paille dans les cheveux. Je finis par décréter qu’il s’agissait de rêveries inventées par des femmes souhaitant une vie différente, une vie qui ne fût pas uniquement faite de grossesses, d’accouchements, de labeur et de coups.
    » C’est alors que tout se produisit.
    » Un jour, au puits.
    » Au petit matin.
    » J’étais seule et je remontais l’amphore que j’avais descendue au bout d’une corde en m’appuyant à l’autre extrémité du balancier. Je le fixai au sol à l’aide d’une grosse pierre. Soudain le poids ne se fit plus sentir. Intriguée, je levai la tête.
    » On aurait dit un dieu : jeune, très beau, la peau lisse, le corps sculpté et harmonieux, les mains à la fois fortes et délicates, le sourire enchanteur, il était aussi éblouissant que les rayons du soleil qui se levait derrière lui.
    » Il but à mon amphore, et l’eau inonda sa poitrine, la rendant aussi luisante que du bronze. Il me fixa, et je soutins son regard avec la même intensité.
    » Par la suite, j’appris que c’est la vie qui nous fait ressembler à des dieux ou à des bêtes, la vie et le lieu où le destin a voulu que nous naissions et que nous mourions, humiliant nos rêves et décevant nos espoirs. C’est la vie qui lisse le corps d’un homme en le soumettant à des concours athlétiques ou à des danses, la vie qui transmet à notre regard l’ardeur des rêves et de l’aventure. C’était cette lumière qui éclairait les yeux du jeune homme qui se tenait devant moi au puits de Beth
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