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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue
Autoren: Valerio Manfredi
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tuméfié, aux cheveux collés par le sang et la poussière. La veine jugulaire palpitait, et un râle s’échappait de ses lèvres. Elle était en vie, même si j’étais persuadée qu’elle ne tarderait pas à expirer.
    « Emmenons-la, dis-je.
    — Où ? demanda Mermah.
    — À la cabane, près du torrent, proposa Abisag. Plus personne ne l’utilise depuis longtemps.
    — Et comment ? » interrogea encore Mermah.
    Une idée me traversa l’esprit. « Déshabillez-vous. N’ayez crainte, personne ne nous verra. »
    Devinant mon projet, les filles s’exécutèrent.
    Une fois nos vêtements étalés, je les nouai les uns aux autres de façon à former une sorte de drap, que nous étendîmes sur le sol. Puis, avec toutes les précautions nécessaires, nous saisîmes la femme par les bras et la déposâmes dessus. Elle laissa échapper une plainte – à l’évidence, ses membres étaient endoloris –, et nous soulevâmes ce brancard avec le plus de délicatesse possible. Elle n’était pas lourde, et nous la transportâmes à la cabane sans grands efforts, nous arrêtant de temps à autre pour reprendre haleine.
    Nous lui préparâmes une couche avec de la paille, du foin et une natte. Nous la lavâmes à l’eau fraîche et la couvrîmes d’une toile de sac. Elle n’aurait pas froid car la nuit était douce. C’était de toute façon le cadet de nos soucis : nous ignorions si nous la retrouverions en vie le lendemain. Puisque nous ne pouvions rien faire d’autre, nous décrétâmes qu’il valait mieux rentrer avant que nos parents remarquent notre absence. Nous nettoyâmes nos vêtements dans le torrent pour en ôter les taches de sang et les enfilâmes en espérant qu’ils sécheraient pendant la nuit.
    Au moment de nous séparer, nous nous promîmes de secourir notre protégée, de lui apporter de la nourriture et de l’eau jusqu’à ce qu’elle fût en mesure de veiller à sa propre subsistance. Nous jurâmes de n’en parler à personne. Ce serait notre secret, et nous ne le révélerions pour rien au monde, fût-ce au prix de notre vie.
    Nous ne mesurions pas le sens de nos paroles, mais nous savions que, pour être valable, un serment doit comporter des engagements terribles. Nous nous étreignîmes longuement : nous étions fatiguées, émues, bouleversées, mais trop agitées pour fermer l’œil.
    Le vent se leva de nouveau et souffla jusqu’à l’aube, quand le chant des coqs réveilla les habitants de Beth Qadà et des quatre autres villages de la Ceinture.
    Alors qu’ils allaient aux champs, les hommes constatèrent que la femme lapidée avait disparu, et cette découverte les plongea dans la consternation. D’étranges racontars se répandirent bientôt parmi les villageois, plus terrifiants les uns que les autres. Ils ôtèrent à quiconque l’envie d’enquêter sur cette disparition : mieux valait oublier ce crime qui avait impliqué tout le village. Nous pûmes ainsi secrètement prendre soin de l’inconnue que nous avions sauvée d’une mort certaine.
    Tout juste sorties de l’enfance, nous nous étions lancées dans une entreprise qui nous dépassait. À présent, ses conséquences nous effrayaient. Nous ignorions comment soigner la rescapée et la nourrir. Par chance, Mermah eut une idée. Une vieille Cananéenne vivait dans une espèce de tanière creusée dans le terre-plein qui endiguait le torrent les jours de crue. Elle confectionnait des onguents et des potions à base d’herbes pour soigner les brûlures, la toux et les fièvres malignes, et les échangeait contre de la nourriture et quelques chiffons pour se vêtir. On l’appelait « la muette », soit parce qu’elle ne pouvait pas parler, soit parce qu’elle n’en avait pas envie. Nous allâmes la chercher le lendemain soir et la conduisîmes à la cabane.
    La jeune femme respirait encore, mais si péniblement qu’elle semblait à chaque souffle sur le point d’expirer.
    Nous lui demandâmes : « Peux-tu la soigner ? » La vieillarde s’approcha, s’empara d’un sachet de cuir qui pendait à sa ceinture et en versa le contenu dans l’écuelle qui était fixée à son bâton. Puis elle se retourna brusquement et nous ordonna de partir.
    Je lançai un regard hésitant à mes camarades. La Cananéenne nous menaçait maintenant de sa canne, et nous détalâmes. Nous attendîmes dehors, assises par terre. Bientôt retentit un cri qui nous glaça le sang. Puis la muette sortit et nous invita
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