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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe
Autoren: E.M. Remarque
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grimpent… »
    Elle hurlait, tassée dans le coin du lit, les bras devant le visage, les jambes repliées sur elle, les yeux vitreux et grands ouverts.
    « Mais il n’y a rien, maman, il n’y a rien dans les coins…
    –  Les lumières, les lumières ! Ils courent partout ! Les cafards !…
    –  Mais il y a la lumière, maman. Regarde, il y a même des bougies allumées. »
    Il prit une torche électrique, et en dirigea les faisceaux vers un coin de la pièce.
    « Tu vois, regarde ; tu vois bien qu’il n’y a rien…
    –  Des cafards, des cafards ! Tout est noir de cafards ! Ils sortent de partout ! Ils grimpent aux murs ! Ils tombent du plafond ! »
    Sa respiration était haletante, et ses bras s’agitaient au-dessus de sa tête.
    « Depuis combien de temps est-elle ainsi ? demanda Ravic à l’homme.
    –  Depuis l’extinction des lumières. Je n’étais pas-là. On m’avait dit d’essayer d’obtenir le visa du Consulat haïtien ; j’avais amené le petit avec moi. Je n’ai pu rien obtenir, et quand nous sommes entrés, elle était là, sur le lit, à hurler. »
    Ravic avait préparé l’aiguille hypodermique.
    « Avait-elle dormi ? » demanda-t-il.
    L’homme le regarda d’un air impuissant.
    « Je ne sais pas. Elle a toujours été parfaitement tranquille. Nous n’avons pas assez d’argent pour la mettre dans une maison de repos. Et puis nous n’avons pas de… je veux dire, nos papiers ne sont pas tout à fait en règle. Si seulement elle pouvait se calmer. Voyons, maman, tout le monde est là, je suis avec toi, Siegfried est là, le docteur est là, il n’y a pas de cafards…
    –  Des cafards, interrompit la femme. Il y en a partout. Et ils sentent mauvais ! Ils sentent mauvais. »
    Ravic fit l’injection.
    « A-t-elle déjà eu une crise semblable ? questionna-t-il.
    Non, jamais. Je ne comprends pas. Je ne sais pas pourquoi…
    Ravic leva la main pour l’interrompre.
    –  Ne lui parlez plus de ceci. Dans quelques minutes, elle sera fatiguée et elle s’endormira. Il est possible qu’elle ait fait un rêve. Demain, en s’éveillant, elle ne se souviendra probablement de rien. Ne lui en soufflez pas mot. Faites comme s’il ne s’était rien passé.
    –  Des cafards, murmura la femme d’une voix pâteuse. Noirs, luisants…
    –  Avez-vous besoin de tant de lumières ?
    –  C’est qu’elle nous criait d’allumer…
    –  Éteignez celle du milieu. Laissez les autres jusqu’à ce qu’elle se soit endormie. Je passerai la voir demain vers onze heures.
    –  Je vous remercie, dit l’homme. Vous ne croyez pas…
    –  Non, ces choses-là arrivent souvent de nos jours. Il faudra faire attention pendant quelque temps. Cachez-lui le plus possible vos soucis… »
    « Facile à dire », pensa-t-il, en regagnant sa chambre. Il alluma la lumière. Quelques livres auprès de son lit : Sénèque, Schopenhauer, Platon, Rilke, Lao Tseu, Li Po, Pascal, Héraclite, la Bible, et quelques autres, des éditions sur papier fin, pour quelqu’un qui se déplace constamment, et qui ne peut emporter que peu de bagages. Il choisit ce qu’il voulait emporter. Il examina tous ses effets. Il avait peu de chose à détruire. Il avait vécu toujours de manière à pouvoir partir sans délai. Sa vieille couverture, sa robe de chambre, qui le réconforteraient comme de vieux amis. Le poison, contenu dans le médaillon creux qu’il avait gardé avec lui au camp de concentration en Allemagne…
    Le fait de l’avoir et de savoir qu’il pouvait s’en servir quand il le voudrait avait allégé l’épreuve. C’était toujours une assurance. On ne savait jamais ce qui pouvait arriver. Il pouvait être repris par la Gestapo. Il y avait une demi-bouteille de calvados sur la table. Il emplit un verre et but. « La France, songea-t-il. Cinq ans de vie agitée. Trois mois de prison pour entrée illégale ; ex pulsé quatre fois, et toujours revenu. Cinq années de vie ». Il ne pouvait pas se plaindre.

 
CHAPITRE XXXIII
     
     
     
    L A sonnerie du téléphone retentit. Encore endormi, il souleva le récepteur.
    « Ravic… dit une voix.
    –  Oui. »
    C’était Jeanne.
    « Viens », dit-elle.
    Elle parlait d’une voix basse et entrecoupée.
    « Tout de suite, Ravic…
    –  Non.
    –  Il faut.
    –  Non. Laisse-moi la paix. Je ne suis pas seul. Et je ne viendrai pas.
    –  Il faut que tu m’aides…
    –  Je ne peux pas t’aider…
    –  Il est
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