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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe
Autoren: E.M. Remarque
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mort, et qui disait avec indifférence : « J’aimerais mieux rester. »
    Un groupe d’Américains arriva. Sûrs d’eux-mêmes, bruyants, joviaux. Le Consulat leur avait conseillé de partir. Ils avaient argumenté. C’était vraiment dommage. Ils auraient voulu rester et observer plus longtemps. Que pouvait-il leur arriver, après tout ? L’ambassadeur ! Ils étaient neutres ! Oui, c’était vraiment dommage de partir !
    Les parfums. Les bijoux. L’éclat des diamants. Il y a quelques heures, ils étaient encore assis chez Maxim’s, où, avec des dollars, tout est à bon compte, buvant un corton 29 ou un pol loger 28… Sur le bateau, ils s’installeraient dans le bar pour jouer au jacquet et boire du whisky.
    Et devant le Consulat, les longues files d’êtres désespérés, l’odeur de la peur mortelle flottant au-dessus d’eux comme un brouillard… quelques employés -surchargés de travail et le tribunal suprême, un secrétaire adjoint, secouant la tête sans arrêt, « non, non, pas de visas, non, impossible ». La condamnation silencieuse de l’innocence muette. Ravic regarda le navire, et ce n’était plus un navire qu’il voyait, c’était une arche, l’arche qui sauvait du déluge. Ceux qui avaient échappé une fois au déluge allaient maintenant être engloutis.
    « Il est temps, Kate, dit-il.
    –  Déjà ? Adieu, Ravic.
    –  Adieu, Kate.
    –  Il est inutile de nous mentir l’un à l’autre, n’est-ce pas ?
    –  Oui.
    –  Venez me rejoindre bientôt.
    –  Sûrement, Kate. Bientôt.
    –  Adieu, Ravic. Merci pour tout ce que vous avez fait. Je vous laisse. Je monte sur le pont et je vous ferai signe de la main. Je vous en prie, restez jusqu’au départ du bateau.
    –  Je resterai, Kate. »
    Lentement, elle franchit la passerelle. Elle marchait avec un imperceptible balancement du corps. Plus mince que toutes les autres femmes, la silhouette nette, sans chair, avait la sombre élégance de la mort certaine. Son visage ressemblait à celui des chats de bronze égyptiens, on ne voyait que le contour et les yeux.
    Les derniers passagers. Un juif, couvert de sueur, une pelisse sous le bras, à demi hystérique, accompagné de deux porteurs, courant de-ci de-là, et criant. Les derniers Américains. Puis la passerelle qu’on retire lentement. Une sensation étrange. La fin. Cette étroite ligne d’eau qui sépare maintenant le navire du quai, une frontière. Deux mètres d’eau seulement, mais c’était déjà la frontière entre l’Europe et l’Amérique. Entre le salut et l’anéantissement.
    Ravic chercha des yeux Kate Hegstrœm. Il la découvrit. Elle était penchée sur le bastingage et lui adressait des signaux d’adieu. Il agita la main.
    Le bateau ne semblait pas bouger. C’était la terre qui semblait se dérober. Un mouvement à peine perceptible. Et soudain, le navire brillamment illuminé fut libre. Il flottait sur l’eau sombre, se détachant sur le ciel noir, désormais inaccessible. Ravic n’apercevait plus Kate Hegstrœm ; il était impossible de distinguer quelqu’un. Ceux qui demeuraient sur le quai se regardèrent en silence, avec embarras, ou avec une fausse gaieté, et puis, rapidement, se dispersèrent.
    Dans la nuit, il conduisit la voiture de Kate jusqu’à Paris. Il vit défiler les haies et les vergers de la Normandie. Dans le ciel, l’énorme lune était cernée d’un halo. Il avait oublié le paquebot. Il ne voyait plus que le paysage. Le paysage, l’odeur du foin et des pommes mûres, le silence et la paix profonde des choses inévitables.
    La voiture roulait presque sans bruit. On eût dit que les lois de la gravitation n’avaient plus prise sur elle. Les maisons fuyaient les églises, les villages, et les taches lumineuses qui étaient des estaminets et des bistrots ; une rivière miroitante, un moulin, et de nouveau le contour harmonieux de la plaine, le ciel étendant au-dessus d’elle son dôme nacré, où la lune semblait une perle géante.
    C’était comme une fin et un achèvement. Ravic en avait eu plusieurs fois la pensée ; elle était devenue maintenant pleine, forte et inexorable, elle pénétrait entièrement son être, et il eût été impossible d’y résister.
    Tout semblait flottant et sans poids. L’avenir et le passé se touchaient, vides tous deux de désirs et de souffrance. Toutes les choses prenaient une importance égale. Les horizons s’équilibraient ; et Ravic sentit un instant que
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