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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe
Autoren: E.M. Remarque
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la balance de sa vie avait atteint le point mort. Le destin n’était jamais plus fort que le courage serein avec lequel on l’envisageait. Lorsqu’on ne pouvait plus tenir, on pouvait encore se tuer. Il était bon de savoir cela et aussi de savoir qu’on n’est jamais entièrement perdu, tant qu’il reste encore de la vie.
    Ravic se rendait compte du danger. Il voyait clairement où il allait, et il avait la certitude que demain toute sa résistance se réveillerait… Mais, cette nuit, alors qu’il revenait d’un Ararat perdu, vers l’odeur sanglante de la destruction certaine, tous les mots perdaient leur sens. Le danger ne signifiait plus rien ; le destin était à la fois le sacrifice, et le dieu auquel ce sacrifice était offert.
    Et demain, demain était tout un monde inconnu.
    Tout était dans l’ordre. Ce qui était passé, et ce qui allait venir. Si c’était la fin, il était bien sûr qu’il en serait ainsi. Il avait aimé une femme et il l’avait perdue. Il avait haï un homme et il l’avait tué. De cette double expérience, il sortait libéré. La première avait fait revivre son cœur ; la seconde avait effacé son passé. Tout était accompli. Il ne demeurait plus de désir, plus de haine, et plus de larmes. C’était comme un recommencement. Il débutait sans illusion, prêt à tout, avec l’appoint d’une expérience qui avait fortifié sans déchirer. Les cendres étaient dispersées au vent. Les réflexes paralysés s’étaient remis à vivre. Le cynisme s’était changé en force. Tout était bien.
     
    Au-delà de Caen, il vit des chevaux. De longues colonnes dans la nuit, que la lune rendait fantomatiques. Puis des hommes, quatre de front, chargés de ballots, de boîtes de carton, de paquets. Le commencement de la mobilisation.
    On pouvait à peine les entendre. Personne ne chantait ; à peine quelques-uns parlaient-ils. Ils marchaient silencieusement dans la nuit. Une procession d’ombres, rangées sur la droite de la route afin de laisser la place aux voitures.
    Ravic continua sa route. « Des chevaux, pensa-t-il. Des chevaux. Comme en 1919. Pas de tanks, des chevaux. »
    Il s’arrêta devant un poste d’essence et fit remplir le réservoir. Il y avait encore quelques lumières aux fenêtres du village, mais le silence régnait partout. Une des colonnes d’hommes et de chevaux traversait la grand-rue. Les habitants les regardaient passer, sans une acclamation.
    « Je pars demain », dit le propriétaire du poste d’essence.
    Il avait un visage brun aux traits nets, un visage de paysan.
    « Mon père a été tué à la dernière guerre. Mon grand-père en 1870. Je pars demain. C’est toujours la même chose. Nous faisons cela depuis près de deux cents ans et c’est toujours à recommencer. »
    Du regard, il embrassait la pompe souillée, la petite maison tout à côté, et la femme qui se tenait silencieusement près de lui.
    « Vingt-huit francs trente centimes, monsieur. »
    De nouveau le paysage. La lune. Lisieux. Évreux. Les colonnes. Les chevaux. Le silence. Ravic s’arrêta devant un petit restaurant. Deux tables au-dehors. La propriétaire lui dit qu’elle n’avait plus rien à manger. En France, une omelette et du fromage ne constituent pas un dîner. Elle se laissa cependant persuader, et lui apporta même une salade, du café, et une carafe de vin ordinaire.
    Ravic s’installa seul devant la maison rose et se mit à manger. Le brouillard glissait sur la plaine. Des grenouilles coassaient. Le calme absolu. De l’étage supérieur lui parvint une voix rassurante, confiante, sans espoir et tellement inutile. Tout le monde l’écoutait, mais nul ne croyait plus ce qu’elle annonçait. Il paya sa note.
    « On va éteindre toutes les lumières de Paris, lui dit la propriétaire. On vient de l’annoncer à la T. S. F.
    –  Vraiment ?
    –  Oui. C’est à cause des avions. Par précaution. Ils disent à la T. S. F. que tout ce qu’on fait n’est qu’une précaution. Il n’y aura pas la guerre. Ils sont sur le point de négocier. Qu’en pensez-vous ?
    –  Je ne crois pas qu’il y aura la guerre. »
    Ravic ne savait que dire d’autre.
    « Dieu le veuille. Mais à quoi bon ? Les Allemands vont prendre la Pologne. Après cela, ils demanderont l’Alsace-Lorraine. Puis les colonies. Et encore quelque chose d’autre. Et ils continueront jusqu’à ce que nous abandonnions la partie, ou que ce soit la guerre. Il vaudrait encore
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